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air de cousinage

par antonin moeri

 

Le lecteur songe à «La Faim» de Knut Hamsun en lisant le récit «Et une nouvelle terre...» Hohl avait-il lu le roman de l’auteur norvégien lorsqu’il travailla aux huit ou dix versions de sa nouvelle? Le JE de Hamsun est un jeune homme qui se rêve écrivain, le IL de Hohl est un jeune homme qui se rêve peintre. On assiste, dans les deux récits, aux vagabondages et aux effets de la faim sur les protagonistes.

Andreas W., le «peintre» qu’imagine Hohl se voit abandonné de tous. Il rencontre un étudiant communiste qui, ayant le sens de l’Autre, lui offre à boire. Au bord du Danube (ah oui, l’histoire se passe à Vienne, où Hohl vécut de mai à décembre 1930), W. s’abîme dans une longue contemplation. Il sent les vagues couler en lui. Au cours d’une autre errance, la sensation de la faim devient si violente qu’il imagine un plat somptueux, nourriture revigorante qu’il n’avalera qu’en rêve.

C’est que les hallucinations ne cessent désormais d’assaillir le loqueteux qui tangue, chancelle, se traîne d’un banc à l’autre. Avec les deux schillings que lui donne une connaissance, il peut enfin s’offrir un repas. L’espoir monte alors en lui d’une nouvelle façon de peindre, plus fabuleuse. Mais le lendemain, nouvelles hallucinations. Il erre tel un cadavre et croise un bourgeois d’une élégance irréprochable. Poussé par une force obscure, W. assène un violent coup de poing à ce fat d’opérette. Intervention des flics. On emmène le «fou» dans un asile où un psychiatre, après quelques investigations, finira par affirmer: «La vie qu’il mène peut avoir une mauvaise influence sur son état mental».

La crise que Hohl met en scène est celle d’un individu que le manque de nourriture rend dingue. Après le seul repas pris pendant ces jours de détresse, W. rêve d’une maison à la campagne, où brille le soleil de la plénitude, où les grillons stridulent. Le narrateur norvégien fait le même genre de rêve: dans une salle où le soleil rayonne et où passe «la symphonie d’une musique ravissante», il sent les bras d’une femme autour de son cou, l’haleine de cette femme sur son visage. Le jeune homme qui se rêve écrivain et celui qui se rêve peintre sont tous deux victimes d’accès de rage subite et finissent par agresser physiquement et sans motif le premier quidam croisé dans la rue.

Hohl aurait-il lu «La Faim» en 1930 (roman publié en 1890). C’est en tout cas ce que lui reprocha le rédacteur culturel de la Frankfurter Zeitung en refusant son texte en 1932. Or Hohl affirma n’avoir pas lu une ligne de ce «roman» à l’époque où il travaillait aux différentes versions de «Et une nouvelle terre...».

Ludwig Hohl: Et une nouvelle terre... dans Le petit Cheval, L’Aube 1991 Knut Hamsun: la Faim, Livre de Poche, 2004

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