Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

faire grimper la température

 

par antonin moeri

 

 

 

Ma nièce de Los Angeles m’a offert pour Noël un joli petit livre publié aux coquines Editions La Musardine. Dix-sept textes d’auteurs différents, très divers de ton, de sensibilité et de férocité. Un point commun cependant: soumission ou insoumission à l’instinct de domination du ou de la partenaire. «Le taille-crayon» offre un exemple de ce genre de littérature. Son auteur, Octavie Delvaux, aurait vécu sur tous les continents (selon Wikipédia) à la suite de ses parents. «De cette enfance cosmopolite, elle a gardé le goût des voyages et des langues. Elle a fait de brillantes études littéraires à La Sorbonne, avant de vivre à Londres, Dublin puis Glasgow. Spécialisée dans la recherche de manuscrits médiévaux, elle intervient comme «visiting lecturer» dans plusieurs universités européennes. Son premier roman «Sex in the kitchen» s’est vendu à plus de vingt mille exemplaires».

Quelques années avant ce succès, Octavie Delvaux a écrit, pour un collectif d’auteurs, «Le taille-crayon». Une étudiante en géographie, Lucie Mercier, a besoin d’un travail d’appoint pour pouvoir terminer la rédaction de sa thèse. Le DRH Pierre Lambert peut décider d’engager ou de ne pas engager Lucie, «jeune femme blonde et élancée dont la plastique attire les faveurs des hommes». Le DRH, genre grimpion myso, traite Lucie avec mépris. Un sourire suffirait. C’est fait. Pierre sort du tiroir un taille-crayon. L’objet représente un homme à quatre pattes. «Le crayon se taille dans le fondement».

Tout en taillant son crayon, Pierre «déverse sa litanie d’embauche habituelle». Lucie devra gérer le standard. Pierre prendra Lucie pour cible et ne cessera de l’humilier en public. Devant l’insoumission de Lucie, Pierre fait tout pour la faire craquer. Il la convoque dans son bureau pour qu’elle fasse le ménage. Cette fois, c’en est trop. Lucie se présente «moulée dans une minijupe fendue... bustier très décolleté... bottes à talons aiguilles». Elle lui ordonne de baisser son pantalon et de se mettre à quatre pattes. Elle enfonce un gros crayon à dessin dans le sonore du dirlo. Avec des menottes, elle attache les poignets du porcelet au radiateur. En passant devant l’accueil, Lucie lance: «Lambert vous attend dans son bureau, ses adjoints et toi».

Lecteur attentif de Sade, Casanova, Sacher-Masoch, Apollinaire, Aragon, Bataille, je me demande ce que la dite littérature érotique peut avoir de transgressif aujourd’hui. La toile permet à chacun d’assister aux scènes les plus extrêmes, dans lesquelles la cruauté accompagne (avec ou sans mots sales) la montée de la jouissance. L’individu pourrait ressentir une grande lassitude à voir ces scènes décrites dans une fiction littéraire avec moult détails: «chatte engorgée, clito au garde-à-vous, la queue dans le trou graissé, mes orteils disparaissent dans sa bouche..., je reviens avec un plug, les boules de geisha, ton vibro préféré et du lubrifiant..., je remarque la cyprine sur tes cuisses». Et pourtant, le texte imprimé, quand il n’est pas trop sot, offre un je ne sais quoi que ma nièce de Los Angeles n’aurait pas trouvé sur les sites pornos. Un je ne sais quoi qui s’appelle la distance.

 

 

In/Soumises: contes cruels au féminin, La Musardine 2012

Les commentaires sont fermés.