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Premier exercice d'admiration

 

par antonin moeri

 

 

 

     Dans la conférence sur Rimbaud que Thomas Bernhard tint à Salzbourg en 1954 (il a 23 ans, l’âge qu’avait Rimbaud quand il cessa d’écrire), le futur auteur de «Maîtres anciens» dit son admiration pour l’intraduisible auteur de «La saison en enfer». TB ne se lance pas dans une analyse textuelle. Il fait un détour par la vie d’Arthur. «La vie des poètes n’a pas à être exhibée sur la place publique, mais la vie de Rimbaud a été si grande, si imposante, si insondable et pourtant aussi recueillie que celle d’un saint».

TB rappelle la précocité du poète français, son départ à Paris «pour voir la misère des gens et pour souffrir avec eux», sa «participation» à la Commune. De retour à Charleville, il écrit ses poèmes les plus enfiévrés (Le bateau ivre - L’orgie parisienne), poèmes qu’il envoie à Verlaine, l’artiste «habitué à graviter d’un salon littéraire à un autre». Ensemble, ils vont voyager. L’évadé permanent et le délicat poète catholique entretiennent une relation amoureuse passionnée. 

Se détournant de la littérature, Rimbaud commence une seconde vie, celle d’un aventurier: Stuttgart, Belgique, Hollande, Java, Batavia, Égypte, Arabie où il travaille dans le négoce du café et des parfums, Harar où il devient agent général d’un comptoir britannique. Il étudie alors la métallurgie, la navigation, l’hydraulique, la minéralogie, la charpenterie, le sciage de bois, la verrerie, la poterie, la fonderie. «Il éprouve une soif de connaissances inédite». Mais il finit par s’ennuyer. L’impatience le gagne. Il veut rejoindre le Tonkin, l’Inde, le canal de Suez. En 1890, douleur au genou. On diagnostique une synovite aiguë. Retour à Marseille. Cancer. On lui ampute une jambe. Il aimerait retourner auprès des nègres. Agonie: retour au point où il avait abandonné la barbarie de la littérature. «Nul ne pourra lui enlever ce qu’il a créé». Il meurt, dans la foi, affirme sa soeur.

Pour évoquer les poèmes de Rimbaud, TB écrit: «Ce sont des incantations et des prophéties, des saisissements et des délires d’une puissance ensorcelante». Il ajoute qu’à trop parler de Rimbaud, on perd son temps, qu’il faut le lire, «le laisser agir dans son ensemble comme un rêve universel (...) Il ne faut pas contempler son oeuvre, mais la vivre et la souffrir avec lui».

Cette conférence est un document passionnant. Il montre le grand intérêt que TB a toujours porté à la littérature française, que ce soient Montaigne, Pascal, Racine, Saint-Simon, Vauvenargues, Voltaire, Péguy, Valéry, Claudel, Saint-John Perse ou Artaud. Il avait besoin de fouiller dans le nerf de la langue française. Il trouvait dans l’oeuvre des grands stylistes français un antidote aux brumes, aux approximations et aux boursoufflures de la plupart de ses contemporains.

 

 

 

Thomas Bernhard: Sur les traces de la vérité, discours, lettres, entretiens, articles.     Gallimard, Arcades, 2013

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