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kamikaze social

 

 

par antonin moeri

 

 

 

        Les habitants des villes vivent les uns sur les autres, dans une proximité qui peut devenir insupportable. Les nuisances sonores peuvent conduire au meurtre. Imaginez un SDF qui s’installe dans le hall de votre immeuble. Un type arrogant qui se nourrit de la souffrance des locataires, qui ne cesse de pérorer, d’écouter au milieu de la nuit la radio à plein tube et qui, en même temps, aide une locataire surchargée à porter ses paquets, aide un paraplégique à monter au deuxième quand l’ascenseur est en panne. Un type qui s’estime plus haut que les autres car il épluche les journaux récupérés dans les poubelles et fait des théories à n’en plus finir. Un type sans scrupule qui chie devant l’immeuble et baise Martine dans le hall.

Comment vont réagir les locataires? Une dame voudrait expulser Martin mais, quand elle appelle les flics, on lui conseille d’appeler les services sociaux. Et puis, il y a tous ceux qui tiennent à faire connaître leur idée de l’humanisme. On voudrait aider le clodot: lui donner un sandwich, un peu d’argent, une tomate, un vieux veston. Ce que pointe Mathieu Lindon dans ce roman, ce sont les pensées, les réactions, les comportements des gens dits normaux devant la saleté, la misère, la déchéance, la déviance. C’est la peur qui gagne les intégrés accrochés à leur job, la peur des locataires l’oeil rivé au judas, craignant que leur tranquillité ne soit piétinée.

Le lecteur se demande qui prend en charge le récit. On dirait une oreille qui entend tout, un oeil qui voit tout. Il y a les ragots, les on-dit, les commentaires, les réflexions sur la vie sexuelle des uns et des autres, sur les quantités de médicaments absorbées, les bribes de conversations captées au moment d’attendre l’ascenseur ou de composer le code d’entrée. L’affaire se corse quand Martine hurle qu’elle a été violée. Ramdam. Attroupement. Flics. Enquête qui n’aboutit pas. Et puis, un matin, mort de Martine. Assassinat ou suicide? On l’ignore. Finalement, le SDF arrogant s’en va comme Charlot, à pas tremblants, avec un petit baluchon, après avoir dit: «Je suis Martin le Maudit. Comme dans le film de Fritz Lang».

Vouloir mettre en scène dans un roman la tribu des parias, des exilés, des marginaux, des exclus, ce projet est séduisant mais difficile à réaliser. Me souviens du roman d’un jeune auteur anglais «Même les chiens», dans lequel évoluent des racailles camées dont les comportements, les paniques, les pratiques sexuelles, les allées et venues sont saisis à travers le regard des chiens, c’est du moins l’impression qui m’en est restée, l’impression également d’un roman auquel j’ai donné ma totale adhésion...

Le ton détaché, les nombreux commentaires de l’auteur, les clins d’oeil, le viol invraisemblable de Martine et sa mort improbable laissent une curieuse impression quand on ferme le livre de Lindon. Comme si le lecteur, ne pouvant croire à cette «histoire», était prié de rester sur le seuil.

 

 

 

Mathieu Lindon: Les hommes tremblent, POL, 2014

Commentaires

  • Il peut aussi y avoir des clochards envahissants à la campagne en fait, des gens qui vivent seuls dans de vieilles baraques dont ils ont hérité, et qu'on finit toujours par recontrer, qui demandent quelque chose, ou crient sur les chemins.

  • oui c'est vrai mais le fils de Jérôme s'occupe d'un clodo urbain et, surtout, il s'occupe des habitants de l'immeuble, de leurs réactions devant une réalité qui les dérange.

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