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Enfin une statue pour un monument

Par Pierre Béguin

 

genèveMon ancien – et néanmoins fort estimé – collègue au Collège Calvin Jean-Pierre Gavillet vient d’utiliser de la manière la plus judicieuse qui soit ses deux premières années de retraite après 46 (!!!) ans d’enseignement (histoire, français, latin). Il publie le premier livre consacré à l’une des plus grandes figures de la vie politique genevoise, André Chavanne, conseiller d’Etat en charge du DIP de 1961 à 1985, personnage haut en couleur aux contours rabelaisiens, surnommé plutôt affectueusement «Fidel Bistro» pour sa fréquentation assidue des cafés genevois, mais avant tout figure mythique, présence fraternelle et tutélaire adulée par des générations de collégiens (j’en étais), «humaniste et scientifique» (comme le souligne le titre de l’ouvrage) dont l’action en faveur de la démocratisation des études et du Cycle d’Orientation a relégué celle de ses successeurs au rang de tâche obscure et laborieuse. Au point que, dans les années nonante, nous ses orphelins avons pu nourrir l’impression que c’était Chavanne qu’on assassinait. En réalité, ce n’était pas qu’une impression…

 

Un livre sur André Chavanne. L’idée est tellement évidente qu’on s’étonne qu’il ait fallu plus de vingt ans après la mort de cet homme d’Etat remarquable pour qu’elle se concrétise enfin. Et il est heureux que l’auteur en soit un professeur d’histoire qui connaît mieux que personne le DIP de l’intérieur. En fait, c’est sur la proposition de Charles Beer (qui a rédigé la préface) que Jean-Pierre Gavillet a mis l’ouvrage en chantier. Fort de cette recommandation, et outre les documents et archives traditionnelles, Jean-Pierre a eu accès aux archives inédites du parti socialiste et aux archives personnelles de la propre fille d’André Chavanne. Ajoutez-y une multitude de témoignages de personnes qui ont côtoyé le conseiller d’Etat durant le quart de siècle qu’a duré son mandat (l’auteur laisse abondamment et judicieusement la parole aux acteurs) et vous aurez non seulement un livre sur un monument de la vie politique genevoise, mais aussi un livre monument sur la vie politique genevoise entre les années soixante et quatre-vingt, avec ses péripéties, ses coups fourrés, ses mesquineries, ses combines, ses alliances… Avec les noms livrés en prime, je vous assure, c’est souvent délectable. La perspective du temps, il n’y a rien de tel pour démasquer les gens. Certains n’en ressortent pas tout à fait indemnes…

 

«Les années Chavanne» – et le livre de Jean-Pierre Gavillet en rend bien compte – c’est aussi la nostalgie d’une époque où les politiciens n’étaient pas que des gestionnaires soucieux de communication face à des commissions de contrôle et des électeurs exigeant la transparence jusque dans la vie privée. «Dédé», que nous allions, adolescents, écouter au café du Levant à Arare dans des conversations aux dialogues surréalistes avec le souillon du village, n’aurait pas survécu politiquement plus d’une année de nos jours. Le souvenir de sa popularité distille le charme suranné d’un temps révolu tout en soulignant en négatif la bassesse et la mesquinerie du monde qui lui a succédé. Il y a du romantisme dans la mesure de ce déclin, un romantisme qu’incarne parfaitement pour la postérité notre magistrat et qui sied bien à sa mémoire de là où elle nous contemple...

 

Pour autant, le livre ne tombe jamais dans l’hagiographie. En historien avisé, Jean-Pierre Gavillet sait maintenir la distance pour assurer l’objectivité nécessaire à la crédibilité d’un hommage auquel de nombreux citoyens pourraient (devraient) s’associer: tous ceux qui portent sur leur(s) diplôme(s) la signature d’André Chavanne, mais aussi leurs enfants, ont d’une manière ou d’une autre une dette envers le magistrat socialiste, qu’ils la reconnaissent ou non. Merci à Charles Beer, et surtout à Jean-Pierre Gavillet, de nous le rappeler…

 

Jean-Pierre Gavillet, André Chavanne, homme d’Etat, humaniste et scientifique, Infolio éditions, 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

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