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de l'utilité d'un appareil critique

 

 

 

par antonin moeri

 

 

 

 

 

Les livres de La Pléiade, c’est très utile. On y apprend beaucoup de choses. Prenons «Romans et récits» de Georges Bataille. Dans une remarquable introduction, Jean-François Louette nous apprend que l’auteur de «Madame Edwarda» a lu attentivement les romanciers libertins du XVIII e siècle et que son but n’était pas de privilégier la vraisemblance mais de faire monter la fièvre en utilisant le choc des genres, les ruptures de ton, l’ellipse, l’oxymore, la parataxe et l’anacoluthe. Ceci pour rompre avec ce qu’il appelle «l’autorité littéraire» (et installer la «discontinuité continuelle»), pour faire trébucher le lecteur, exprimer la rage et le tourment, retrouver dans la sexualité «sa part d’animalité et de folie», rendre le lecteur sensible à un sacré convulsif, impersonnel, horizontal. Au cours de cette «randonnée dans l’impossible», Bataille met en scène des personnages qui transgressent dans une furie voluptueuse les «interdits hominisants»: on ne caresse pas les morts, on ne couche pas avec sa mère, on ne pisse pas sur sa chérie, on n’étrangle pas son amant, on ne se promène pas nu dans un lieu public, on ne chie pas dans un calice.

«Je ne puis que rire de moi-même, écrivant», disait Bataille pour qui l’idée de faire carrière dans les lettres ou d’atteindre à la renommée était suspecte. La figure reconnue de l’auteur et son narcissisme ne le séduisaient guère. D’où son besoin de choisir des pseudos (Lord Auch, Louis Trente, Pierre Angélique) pour échapper à la hiérarchie du haut et du bas fixée par les cerbères du temple. Plutôt que «de tirer un nom glorieux de son oeuvre, il tire une oeuvre de son nom, en déployant la double thématique de la bataille (qui ne peut que faire rage), et de l’angoisse».

Comme Artaud et Beckett, Bataille voulut «intégrer à son art la part de l’insuffisance, la dimension du ratage, en ruinant l’opposition de la laideur et de la beauté». Il met en scène des personnages sans identité, ce qui, pour la lectrice, rend toute identification romanesque aléatoire. Il cherche à susciter le malaise, un malaise qui doit arracher cette lectrice à sa torpeur, au «demi-sommeil des lecteurs de romans».

Ce refus de la connivence et des formes attendues par un public prêt à débourser pour satisfaire son envie irrépressible, ce refus conduisit Bataille à écrire des fictions érotiques à tirage très limité, que seuls certains lecteurs pouvaient discrètement faire circuler. Ce refus l’a poussé à privilégier l’infamie, «celle qui ne compose avec aucune sorte de gloire». Mais, «pour petit qu’ait voulu demeurer son auteur, conclut Jean-François Louette, l’oeuvre de Bataille est tout sauf infime».

 

 

 

Georges Bataille: Romans et récits, La Pléiade, 2004

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