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tout fleurs et dentelles

 

 

par antonin moeri

 

 

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Un homme se souvient. Il a vingt-cinq ans quand un riche monsieur des Abruzzes vient s’installer à Trieste. Pourquoi Trieste? Parce que la loi autrichienne, au tout début du XX e siècle, autorise la chasse. Or Cima est un grand chasseur. Avec sa barbiche à l’espagnole, ce beau garçon n’attend pas longtemps pour se faire des amis et obtenir les faveurs d’une charmante Triestine (elle s’appelle Antonia) qu’il installe dans un ravissant petit appartement.

Il se dispute régulièrement avec Antonia. Le narrateur en profite pour intervenir dans leurs dialogues. Antonia éprouve une certaine attirance pour ce narrateur qui admire l’énergie, la détermination et la bonne santé d’Orazio Cima. Antonia et le narrateur s’entendent de mieux en mieux. «J’aurais volontiers couvert de baisers les mots qui s’échappaient de cette bouche rose». Elle le caresse du regard, il s’étire sous cette caresse «tel un chat fébrile et voluptueux». Le narrateur rêve de ressembler à Orazio pour pouvoir satisfaire tous les désirs d’Antonia. En attendant, il se contente d’éprouver un incomparable frisson quand elle pose ses mains blanches sur lui pour rectifier son noeud de cravate. Et quand il effleure cette chose moelleuse qui est la blanche poitrine d’Antonia, il entend la musique des sphères. Svevo atteint aux sommets de l’art narratif quand il décrit les sensations d’un homme que le désir fait fondre. Et ce, sans jamais renoncer à cette distance ironique qui est la marque du conteur inspiré.

La description du tablier «tout fleurs et dentelles» que porte Antonia la veille du jour où le narrateur ira chasser pour la première fois de sa vie (ce tablier qui excite tellement le narrateur), cette description et l’effet que produit ce tablier sur le narrateur («il lui confère un air de petite jeune fille») rendent presque comique l’amour fou qui envahit l’homme qui raconte l’histoire, un homme qui fume et boit autant qu’Orazio, l’homme tant admiré.

Au moment de partir à la chasse, l’amoureux hésite. Il aimerait s’assurer que l’ours qu’ils vont traquer n’est pas un ours domestique. De plus, il trouve ignoble qu’on ait inventé les armes à feu. Et Antonia de protester: «Gare si les fusils n’existaient pas! Les ours se promèneraient dans nos rues». La chute est sublime. Cette «nigaude», comme la qualifie Svevo, aura rappelé au lecteur la délicieuse violence d’un réel à tablier «tout fleurs et dentelles».

 

 

 

 

Italo Svevo: Le destin des souvenirs, nouvelles traduites de l’italien par Soula Aghion, préface de Mario Fusco, Rivages, 1985.

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