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Encore chéri ! par Antonin Moeri

 

Par Alain Bagnoud


 

Encore-cheri---MOERI.jpgAntonin Moeri, éminent Blogreur, vient de publier un dernier recueil de nouvelles sous un titre bien choisi : Encore chéri ! Une bonne manière de savourer la langue de cet authentique écrivain.

 

Un homme explique sa visite à un masseur, qui se trouve être un ancien brigadier et accueille ses clients en rangers et veste de policier déboutonnée. Une amazone initie un jeune homme à la sodomie. Un taulard explique comment il a étranglé une joggeuse en training rose qu'il voulait seulement aborder. Un homme assiste au procès d'un escroc et observe la mère du prévenu. On retrouve aussi le « forcené de Bienne », Peter K, qui avait tiré sur des policiers plutôt que se laisser expulser de chez lui. Il y a aussi des sujets plus frais que ces faits-divers : des garçons amoureux, des jeunes couples attirés par Paris. Une grande variété de thèmes, donc, inscrits dans le réel.

 

Cependant, ce qui fait l'intérêt de ces textes, c'est moins leur objet que leur forme. On sait que Moeri travaille surtout sur le flux verbal. C'est là dedans que sont l'originalité et le talent de notre auteur.

 

La plupart de ses nouvelles sont ou comprennent de longs monologues. Le narrateur 234643346.jpgou les personnages y entament des confessions, dans lesquelles le langage est primordial, qui se développent, pourrait-on dire, plus selon une une logique du discours que pour exprimer un contenu.

 

Par exemple, dans La Traque, basée sur l'histoire de Peter K, Antonin Moeri s'attache moins à comprendre le fonctionnement mental de cet homme pourchassé, à faire un portrait de lui, à déterminer ses motivations, qu'à se mettre à sa place, lui donner la parole et laisser se développer un discours où l'intérêt est souvent dans des évocations soudaines, comme celle de l'origine de la maison, « une ruine que son grand-père avait achetée en revenant du Texas où il a conduit des diligences. »

 

On se souvient de ce que disait Nabokov : la littérature est dans les détails. Et chez Moeri, de ce côté-là, on est gâté. Des images précises surgissent, incongrues, surprenantes, savoureuses, souvent sous forme d'énumération.  Par exemple, dans une autre nouvelle liée elle aussi à une maison, L'Augustin, le narrateur observe les dents du propriétaire d'une demeure praticienne et l'imagine « dévorer des foies de sanglier, des langues de bœuf, des saucisses de Francfort, des jarrets de veau, des râbles de lapin et des rognons de porc. »

 

Le langage chez Moeri obéit aussi à des règles de tension. La musicalité de la phrase affronte des changements de niveau soudain qui intègrent des mots plus communs (siphonné, fils de pute ). L'énonciation tenue est questionnée par l'irruption de structures parlées (la suppression de l'adverbe de négation ne dans les dialogues, par exemple.) Les longs monologues sont soudain remplacés par des dialogues courts qui s'enchaînent comme un échange de balles de ping-pong...

 

Tout ceci donne aux nouvelles d'Encore chéri ! leur saveur et leur étrangeté, et créent un style reconnaissable entre mille. Ce qui est, on le sait, la véritable marque d'un écrivain.

 

 

Antonin Moeri sera à La librairie le Parnasse le mercredi 22 mai à 19 h pour une rencontre autour de son livre. On pourra également l'entendre à la radio dans Entre les lignes (RTS2) le mercredi 29 mai de 11 h à midi, et dans l'émission Vertigo (RTS1)

 

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