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Testament d'une race I

 Par Stanislas Kowalski

1. l’initiation

 

A l’âge de 16 ans, Kuntara est reçu dans la communauté des hommes. Il raconte l’événement.

 

Une fois ceints du pagne de cuir, nous descendîmes donc en procession, pendant que les mères entonnaient une complainte. Leurs pleurs étaient rituels mais ils avaient aussi une raison objective. Elles n’assisteraient bien évidemment pas aux épreuves mais elles savaient que certaines d’entre elles pouvaient être dangereuses. Les initiés de l’année précédente étaient chargés de les tenir à distance et de monter la garde au sommet de l’aven.

« Vous n’appartenez plus à vos mères, vous appartenez à la communauté des hommes. Et la communauté des hommes exige de vous des actes de courage et d’endurance. Prouvez votre valeur. »

La première épreuve consistait à escalader la paroi des démons, c’est-à-dire la face nord de l’aven, à prendre à son sommet un fanion rouge, puis à la désescalader. Cette deuxième partie de l’épreuve était de loin la plus difficile et la plus dangereuse. C’était d’ailleurs pour cela qu’il était impératif d’être ponctuel, il fallait réussir avant la nuit noire. Ce soir-là, un seul postulant échoua. Il se brisa les jambes. Nous restâmes impassibles, suivant la règle. Plus tard ses jambes guérirent mais jamais il ne fut reçu dans l’assemblée des hommes ou a fortiori au conseil.

Les anciens qui nous accompagnaient allumèrent les flambeaux au début de la deuxième épreuve. Ceux de la précédente promotion firent de même en haut et l’aven était comme couronné de lumière. Cette seconde épreuve consistait à se livrer sans broncher aux verges maniées par les autres postulants. Chacun avait son tour. C’était un honneur que d’être choisi pour passer le premier. Il était décerné par les anciens en fonction de notre comportement pendant la période probatoire, passée dans la forêt. Ce fut Karm qui fut élu. Outre le fait d’être distingué des autres, cela présentait l’avantage de modérer un peu leur ardeur. Chacun savait en effet qu’il pourrait se venger. Cependant, modérés ou non, les coups restaient de vrais coups. Un postulant qui aurait voulu tricher aurait été méprisé à vie. Hiérophante rythmait l’exercice en disant :

« Un peu d’humilité, est-ce trop demander ? Un peu de loyauté, est-ce trop demander ? »

Tout le monde passa cette épreuve dignement.

L’épreuve de l’esprit consistait à rappeler des légendes apprises durant l’année écoulée et à interroger un ancien, qui y ajoutait la partie ésotérique et en explicitait le sens. Ce que nous avions appris jusque là était connu de tous et pouvait être divulgué même aux femmes. Ce qu’on nous enseignait le soir de l’initiation était tabou et ne pouvait être répété au-dehors sous peine de mort.

Pour l’épreuve du don de soi, nous prîmes le poteau que nous avions sculpté pour l’occasion et qui nous avait occupés pendant toute une semaine de notre période probatoire. Il devait être le support de toute notre classe d’âge. Il était en quelque sorte notre puissance collective. Nous le portâmes tous ensemble jusqu’au trou ancestral, bien au centre de l’aven, où nous le fichâmes solidement. Il pénétra aisément dans l’orifice et se dressa bientôt fièrement en direction du ciel, comme auparavant les poteaux d’innombrables générations. Le nôtre était exceptionnellement grand et les anciens nous en avaient félicités. En effet, il s’agissait maintenant de nous faire nous-mêmes une blessure à la main ou au bras pour recouvrir le poteau de notre sang. Nous employâmes pour cela le couteau rituel en silex, réservé aux très grandes occasions. A l’aube, le lendemain, le poteau allait être monté en procession par tous les reçus jusqu’au seuil de la maison des hommes. Il resterait là pendant un an, comme exemple donné aux plus jeunes. Alors seulement, les meilleurs d’entre nous, s’ils se mariaient pendant ce temps, pourraient espérer être reçus au conseil. Une fois le poteau bien couvert, nous pansâmes notre blessure avec le fanion gagné plus tôt.

« Maintenant que vous avez offert votre sang à la communauté des hommes, invoquez la matrice, que l’homme ancien disparaisse, que l’homme nouveau renaisse. »

La suite n’était, à vrai dire, plus tellement difficile. Mais c’était impressionnant et c’était le moment suprême, la consécration tant attendue. Au fond de l’aven s’ouvrait une grotte. Pour la circonstance un énorme bûcher avait été dressé. Il fallait sauter à travers les flammes et entrer dans le monde souterrain. Les porteurs de flambeaux se rapprochèrent les uns des autres, de manière à former un chemin. Les postulants s’alignèrent à bonne distance. Je m’élançai le premier. Le bond était exaltant, je me sentais porté par une puissance mystérieuse. Derrière le feu, à quelques mètres dans la galerie, se tenait un homme entièrement couvert d’un habit de cérémonie et portant un masque très ancien et étrange. Je n’en avais encore jamais vu d’un tel modèle. L’homme, d’une voix solennelle, que je ne pus reconnaître, m’interdit d’aller plus loin et me félicita pour tout ce que j’avais accompli jusque là. Je m’agenouillai. Il prononça encore quelques paroles magiques, qu’il me fit répéter, invoqua les mânes de mes ancêtres, les appelant par leurs noms. Il m’attribua un nom secret, qui ne devait servir que dans une initiation ultérieure, si le cas se présentait, et pour obtenir mon passage auprès des dieux le jour de mon décès. Quand tout cela fut accompli, il me tendit enfin le bâton sculpté symbole de ma nouvelle vie. Je pris mon élan pour traverser le feu en sens inverse. Hiérophante m’accueillit par ces mots :

« La bête t’a englouti, la terre t’a enfanté de nouveau. »

Je pris un flambeau pour me mettre à côté des anciens et chanter avec eux la grave mélopée des guerriers. Les autres s’élancèrent à leur tour. Cela prit sans doute longtemps de les faire passer un à un. Mais tout à notre émotion, nous ne sentions pas le temps passer.

Quand tout fut achevé, Hiérophante prit une dernière fois la parole, d’une voix forte, ferme et lente :

« Puisque vous avez donné votre sang à la communauté des hommes et que vous êtes renés à une vie nouvelle, vous êtes devenus membres à part entière de la communauté des hommes. Vous êtes autorisés désormais à porter une épée à la guerre, à bâtir votre maison, à prendre femme, à assister aux conseils, à égorger les boucs sur les autels sacrés. »

Nous poussâmes alors une grande clameur qui avertit tout le village de notre succès. Puis nous nous couchâmes au fond de l’aven pour y passer la nuit, tandis que les anciens remontaient en silence.

 

Commentaires

  • C'est bien. Un peu factuel, peut-être, on aimerait en savoir plus sur la puissance mystérieuse qui le porte quand il s'élance au-delà du feu. Même si c'est une illusion, on le suppose persuadé qu'il est mû par l'esprit des ancêtres. On a le sentiment que peut-être ce jeune initié regarde avec froideur ce qui lui arrive, comme si c'était extérieur à lui-même. Mais l'enchaînement des faits est bon en soi.

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