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Benoît Damon, Trois visites à Charenton

Par Alain Bagnoud

Benoît Damon, Trois visites à CharentonOn sort de Trois visites à Charenton avec la conviction que Michel Audetat ne se trompait pas tellement, quand il commençait ainsi un article : « On sort de Trois visites à Charenton avec la conviction que c'est un grand livre » (voir ici).

Il y a en effet quelque chose dans le roman qui nous conduit dans la langue d'une époque, c'est-à-dire, finalement, dans cette époque. Le tour de force de Benoît Damon, c'est que son écriture ne mime pas la manière de parler de la Révolution. Elle l'évoque et la recrée tout en restant contemporaine.

Son livre, situé en 1822, raconte des événements arrivés en 1793-94. Rassurez-vous, ça n'a rien du roman historique costumé : pas de grandes mises en scènes avec personnages célèbres qui échangent des propos avalisés par l'Histoire, pas de grandes machinerie théâtrales, pas d'intrigues pleines de révélations.

Un fait divers lui a servi de base. En novembre 1822, le peintre romantique Théodore Géricault (1791-1824) décide d'exécuter dix portrait d'aliénés et se rend trois fois à l'hospice de Charenton.

Benoît Damon imagine qu'un de ses modèles, enfermé depuis dix ans, personnage truculent et plein de faconde, accepte de poser pour autant qu'il puisse monologuer tant qu'il le veut.

On découvre ainsi que son histoire est liée à la Révolution. Le fou se présente comme un « fils de la guillotine », et justifie cette assertion par le récit de sa génération et de sa naissance. Il a été conçu le 21 janvier 1793, jour de la mort de Louis XVI, est né neuf mois plus tard, le jour exactement où Marie-Antoinette est exécutée : un mouvement de danse de la foule dans laquelle sa mère est prise a provoqué l'accouchement.

Sa destinée individuelle étant ainsi indissolublement liée avec les événements historiques, l'aliéné se retrouve avec les cadavres des roi et reine comme fondation. Ce qui, pour un homme à la recherche de son origine, et plus singulièrement de ses parents, comprend-on, a de quoi ébranler.

Dès lors, il est persuadé qu'un complot, organisé par le pouvoir, veut le priver « de la voie royale où m'avait poussé la destinée. » Par le moyen, notamment, de l'enfermement à Charenton, où il croise un autre interné célèbre : le Marquis de Sade.

Ses discours manipulateurs et digressifs recréent une période, des images, un esprit : rituel des exécutions, cérémonies publiques exaltées, union par le sang versé. Ce fou parle d'un monde devenu publiquement et collectivement fou. Dans la Révolution et la Terreur issues des Lumières, la seule égalité finalement réalisée est celle de la mort.

Benoît Damon a publié cinq livres avant Trois visites à Charenton (La Farine, Seuil, Un Air de pipeau, Seuil, Le Cœur pincé, Champ Vallon, Le Passage du sableur, L'Arpenteur, Gallimard, Un grain de pavot sous la langue, L'Arpenteur, Gallimard). Seule la grande discrétion qui est la marque de cet écrivain genevois empêche que son œuvre soit reconnue comme elle le mérite.

 

Benoît Damon, Trois visites à Charenton, Champ Vallon, 2012

Commentaires

  • Post intéressant et merci pour le partage

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