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Jubilation du conteur

 

 

par antonin moeri

 

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Tout est dans la manière. Oui, je crois. La manière de parler, de dire, de raconter, d’évoquer des personnages, des ambiances, des ruelles ou des tragédies. Celle de Marina Salzmann est unique. Sans avoir l’air d’y toucher et avec une écriture exigeante, elle emmène le lecteur dans une contrée qui pourrait être celle du conte de fée. Ainsi une narratrice entre-t-elle dans un café, sort une feuille et un stylo. Elle aurait habité juste en face, autrefois. Elle se souvient des chansons de France Gall et de Sardou qu’écoutait le locataire du premier. Elle, elle préférait Janis Joplin et Jimmy Hendrix.

Dans le studio qu’elle louait alors habite désormais Franca. La narratrice imagine le pied nu de Franca toucher la fourrure de son chien. Comme autrefois, les trams passent dans la rue, des bagarres éclatent, un quidam raconte comment il a sauvé la victime d’une tentative de meurtre (cou tranché), les agents du Mossad espionnent, des écrivains vont boire au lieu d’écrire. La narratrice voit Franca prendre place à ses côtés. Franca raconte comment c’est arrivé. Un jour comme aujourd’hui. L’homme la regardait. Ils se sont assis dans un bar pour boire le vin noir. Le dernier tram venait de passer. Franca fait glisser l’étoffe de son foulard. La narratrice voit la cicatrice au cou.

C’est l’art de Marina: choisir l'extrême concision, une sorte de légèreté et la jubilation du conteur devant son auditoire pour suggérer l’ombre qui finit par cerner ceux qui passeront à l’acte. Sans mettre sur le banc des accusés ni les individus ni la société, en se gardant de tout dire avec les mots et avec une agréable dose d’ironie, elle tente de lever le voile sur une parcelle du cauchemar dans lequel chacun est abandonné à lui-même.

 

 

Marina Salzmann: Entre deux, nouvelles, Bernard Campiche 2012

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