Salman Rushdie, La terre sous ses pieds
Par Alain Bagnoud
842 pages de fables contemporaines et anciennes tissées dans une intrigue romanesque foisonnante. Pour le passé sont convoqués la mythologie indienne, la Vénus hindoue, le Kama-Soutra, mêlés à la tradition grecque, Orphée et Eurydice en tête. Pour le présent: la mythologie du rock.
Trois personnages qui appartiennent plus au conte qu’à la psychologie font tourner ce roman. Vina Aspara, star pop, sorte de double de Tina Turner. Ormus Cama (quelques traits de Brian Wilson), musicien de génie en communication avec l’autremonde (sic) où réside notamment son jumeau mort, qui fonde avec Vina le groupe VTO plus connu que les Beatles, Elvis Presley et Pink Floyd réunis (l’histoire se passe entre les années 40 et 80). Et Rai, photographe célébrissime, une sorte de personnage entre, disons, Robert Frank et de Robert Capa.
Tous beaux, talentueux, de premier ordre dans leur art, trop parfaits pour être honnêtes. Tous pris dans une histoire d’amour triangulaire: Vina et Ormus le grand amour absolu, Rai l’amant en tiers qui cherche à happer Vina, narrateur du roman aussi. Tous servant à exposer brillamment des thèmes: la puissance du rock, la force de l’amour, l’ambiguïté des images, les relations du génie, de la folie et de la mort.
Courant à côté d’eux, l’actualité revue et corrigée montre que l’on est dans un monde parallèle, qui communique d’ailleurs avec le nôtre, par ses références et ses passerelles: John Kennedy échappe à l’attentat de Dallas, le Watergate est un livre à succès sans rapport avec la réalité, etc.
Les trois héros viennent de Bombay qu’ils ont quittée dans les années 60. Leur histoire suit celle du rock et est symboliquement liée au leitmotiv du tremblement de terre: celui que la musique apporte à cette époque, celui qui donnera son titre à l’album le plus célèbre de VTO, celui qui tuera Vina, engloutie comme Eurydice.
Jusque là, jusqu’à cette disparition, c’est ébouriffant. La suite s’essouffle, le retour de Vina du royaume des morts sous une autre forme (une nouvelle femme). Bon, ce sont seulement les 150 dernières pages.
Histoire des limites et des rencontres (l’Orient-l’Occident, le réel-l’autremonde, la vie-la mort, le rock-la tradition, etc), foisonnante, fourmillante, énergique, La terre sous ses pieds explore des registres de langue divers, avec une ambition totalisante ambitieuse et passionnante. Paru en 1999, republié par Folio en 2011.
Salman Rushdie, La terre sous ses pieds, Folio