Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française
Par Alain Bagnoud
Je trouve le dictionnaire de Charles Dantzig passionnant. D’abord parce qu’il parle de ce qui m’intéresse: la littérature et les écrivains. Ensuite parce qu’il en parle avec une partialité qui provoque l’adhésion, l’amusement, l’agacement ou l’exaspération.
Les entrées y sont variées: auteurs, œuvres ou thèmes (« Adjectif », « Adverbes », « Bibliothèques de maison de campagne », « Commencer (par quoi)... »). Il y a des écrivains canoniques (Hugo, Voltaire, Balzac), des prédilections personnelles (Max Jacob, Cocteau, Valéry Larbaud), des inconnus (Pierre Herbard, Astophe de Custine), des oublis.
Son angle d’attaque: Dantzig traite les classiques comme s’ils avaient publié à la dernière rentrée littéraire, les dépouille du prestige automatique et de la révérence obligatoire. Bien sûr, il tient compte, ou veut tenir compte, en général de la perspective historique, plus particulièrement des préjugés de chaque époque. Ce qui ne l’empêche pas de véhiculer parfois ceux de la nôtre.
Par exemple Rousseau l’agace et l’irrite à cause d’un point de vue très contemporain. Dantzig ne l’aime pas à cause de son personnage, pour des questions morales, ou à cause de ce qui sort ultérieurement de ses idées (questions politiques). En général, rendons-lui justice, il s’attache plutôt à juger l’aspect formel des œuvres.
Ce dictionnaire révèle beaucoup de choses sur son auteur d’abord. Est-il injuste comme on l’a reproché? Bien sûr que non. Ce mot n’a aucun sens ici. Un critique n’est jamais injuste: il exprime des goûts, qui n’ont rien à voir avec la vérité.
C’est ce que nous oublions souvent quand nous publions. On a le droit de ne pas aimer nos livres. Les critiques ne se basent pas sur une échelle absolue, ce que nous croyons quand ils sont favorables, et ils n’ont pas « rien compris », ce que nous pensons quand ils nous étrillent.
Ils ont compris ce qu’ils peuvent. En parlant de nos livres, ils font un autoportrait. Celui de leurs valeurs, de leurs principes, de leur esthétique. C’est parfois peu flatteur. Il arrive qu’on ait honte pour eux.
Dantzig a au moins une esthétique claire. Il déteste l’emphase, le ronflant, aime en général le court, le dépouillé, le sec, le rapide, avec bien sûr les exceptions de rigueur (Proust). Il a beaucoup lu et beaucoup pris de notes. Certaines de ses entrées sont d’ailleurs composées de remarques décousures.
Avec tout ça, il a le goût d’étonner, il est brillant. Un peu trop brillant. (C’est ma manière d’illustrer une de ses remarques: faire semblant d’être supérieur à l’auteur dont on parle en lâchant une réticence finale – je cite de mémoire, il y a 1147 pages)
Comment peut-on être trop brillant? Eh bien, en voulant à toute force l’être.
Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française, Le livre de poche,
Commentaires
En plus son esthétique est un lieu commun de la critique contemporaine, à Paris. Mais le style concis, dépouillé, c'est devenu vide. C'est bien après une période de floraison anarchique, pour donner une forme claire aux idées, aux images, mais au bout d'un certain temps, cela ne débouche plus sur rien. C'est le cas actuellement, je crois. On peut l'accepter chez des personnages âgées comme Jean-Vincent Verdonnet, mais chez des jeunes, cela serait complètement ridicule.
(Il faut aussi éviter, je pense, la critique qui se veut d'emblée subjective, non fondée; qu'on soit faillible, même quand on est un pape de la critique, c'est certain, mais le subjectivisme tend à mettre le sentiment de la vérité au service du discours, au lieu que c'est quand même bien le discours qui doit servir la vérité. L'écriture pour elle-même, c'est une dérive de la Civilisation, peut-être.)
Toute critique intéressante se base sur une bonne connaissance de la littérature. Il faut avouer que Dantzig n'en est pas dépourvu.
Oui, mais science sans conscience... Je ne dis pas que c'est le cas de Dantzig, mais le fait est que j'aime, moi, le grand style, les phrases amples, le langage épique, et que je pense bien connaître aussi la littérature. C'est assez subjectif. Je trouve en tout cas que l'histoire officielle de la littérature du XXe siècle fait surabonder les écrivains qui ont le style concis et dépuillé prôné par Dantzig et les autres critiques patentés, et marginalise les autres, et que le fond en est complètement subjectif et à mon avis inadmissible. Cela devrait être beaucoup plus équilibré. Le style grandiose de Charles Duits, d'écrivains de science-fiction comme Gérard Klein ou Daniel Drode, voire de Blaise Cendrars, a aussi sa valeur, et somme toute, on voit tout le temps apparaître les écrivains de la "concision", mais jamais les autres, notamment dans les institutions d'Etat. Personnellement, dans mes ouvrages critiques, j'ai toujours donné une juste part aux uns et aux autres. Le style grandiose, très imagé, de Marcel Maillet côtoie le style "dépouillé" de Verdonnet, dans mon dernier livre, mais bien sûr, la critique patentée eût aimé que je donnasse à Maillet une place plus petite!