35 m2 dans 50 m2
par Pascal Rebetez
Vu la première pièce de Joseph Incardona dans ce petit théâtre de la Ruelle du Couchant que dirige avec tact et sensibilité Gianni Ceriani qui raconte l’ancienne poudrière devenue un des derniers lieux d’accueil indépendant pour les petites productions off du théâtre genevois. Le spectacle est à voir et à entendre jusqu’au 11 octobre : l’histoire d’un couple de tueurs, l’excellent Jean-Pierre Gos en armurier psychopathe et la belle Patricia Mollet-Mercier (photo), en allumeuse nymphomane, qui font parler la poudre et s’excitent l’un l’autre tout en retenant en otage ni plus ni moins que le Président du pays, interprété par Pietro Musillo. Si quelques passages du texte renvoient à certains stéréotypes sur la vanité du pouvoir, il n’empêche que la bande de spectateurs adolescents présents hier soir n’en a pas perdu une miette ; ils étaient bouche bée, tant le jeu du chat et de la souris mis en scène par Jef Saintmartin est vif, inventif et percutant.
Le texte de 35m2 vient d’être publié chez Bernard Campiche, collection « Théâtre en camPoche », en compagnie d’un remarquable monologue de notre ami Antonin Moeri qui dans Bingo se met dans la peau d’un jeune gars de nos cités, pris dans le cycle infernal de la violence incontrôlée. Beau tour de force de l’écrivain qui jette les oripeaux du bien parler pour, avec beaucoup de finesse et d’empathie, entrer littéralement dans la peau, les plis, les sueurs d’un langage de jeune looser du XXIème siècle.
La violence ordinaire nous offre ainsi de belles représentations.
Les mondanités aussi.
Entendant la présentation de Michel Butor l’autre jour lors du vernissage au Château de Penthes d’une très belle exposition d’œuvres qu’il a réalisées il y a quinze ans avec l’artiste Marc Jurt, j’entends l’un des responsables définir le grand écrivain français comme « l’auteur de La Modification et d’une œuvre abondante ». Butor, c’est soixante ans de bons et loyaux services à la littérature, une oeuvre profuse, abondante, généreuse et malgré cela, on ne l’affuble que d’une unique référence : le Prix Renaudot de 1957. Ce qui n’est pas rien pour un auteur. Mais de se le trimballer pendant plus d’un demi-siècle me fait penser à ce que doivent ressentir certaines femmes dont on ne loue systématiquement que l’élégance ou, pire, l’origine. Je pense aussi à Alexandre Voisard dont je lis encore récemment qu’il serait toujours ce « grand poète patriote », parce qu’il a su transcrire dans les mots la lutte du peuple jurassien. Oui, c’est vrai, mais c’était dans les années soixante ! Depuis, il est poète. Tout simplement.