Rimbaud le fils, de Pierre Michon
Par Alain Bagnoud
« On dit que... » C'est avec cette formule que Michon résume les innombrables renseignements, rumeurs, enquêtes et soupçons qui ont couru sur Arthur Rimbaud, poète. On a entendu faits et anecdotes, suggère-t-il, cent fois, partout, dans les manuels de littérature, les biographies, les discussions passionnées jusqu'au petit matin, quand on évoquait le mystère. Vitalie Cuif, le papa disparu dans les garnisons, les vers en latin virtuose, Izambard le prof, puis Verlaine, l'Angleterre, la débauche, le coup de revolver, le grenier et les marches, l'Afrique, la jambe...
Terres de la légende. Ce modèle absolu. Qui n'a pas rêvé de devenir Rimbaud? Qui ne s'est pas demandé comment ça vient à un jeune homme, le génie, pour utiliser un mot un peu démodé? Et (discussion jusqu'au petit matin autour des bouteilles qui se vident ) si c'est vraiment du génie ou finalement, seulement de l'histoire de la littérature... Si on y croit parce qu'on nous a dit que ça l'était, du génie, et donc que tout compte fait, persuadé, on voit ces vers de jeunesse, et La saison en enfer, et Les Illuminations, comme le modèle, le canon... Si on peut dissocier les vers et toute la rumeur autour, si l'une ne donne pas de la valeur aux autres... Etc.
« On dit que... » Michon résume, évoque, ne retient que ce qui est essentiel pour lui. C'est-à-dire tout ce qui lui sert à monter des binômes qui seraient les deux cymbales indispensables à ce que la poésie éclate.
Maman et papa. Les bondieuseries et le clairon. L'acrimonie et la désinvolture. La cruauté et la pitié. Le néant et Dieu. La fureur et l'amour. Eros, thanatos...
Rimbaud ne s'est pas fait tout seul. Voilà la thèse de Rimbaud le fils. Fils de Vitalie, l'étouffante, l'étouffoir, que, d'après Michon, Arthur finit par mettre en lui, comme en cage, mais bien vivante. Elle bouge encore, elle lutte toujours. Fils d'Izambard aussi, son prof de rhétorique, 22 ans, qui est poète, qui a publié plusieurs recueils, et qui est passé à la postérité puisqu'il a incité son élève aux vers français. Fils de Hugo, Banville, etc. Recherchant d'ailleurs la caution de ces pères.
Fils de beaucoup de monde mais père de personne. C'est la plus belle réussite de l'écrivain, quand nul ne peut se réclamer de sa succession.
On a des disciples de Maupassant, de Zola, de Balzac même, d'Hugo, de Camus, de Sollers. Il y a des luttes de succession. Mais avec Proust, Céline, Rimbaud ou Diderot, la lignée se termine.
Rimbaud le fils, on l'a compris, est donc une nouvelle version de la légende dorée. Mais autant qu'une sanctification, le mince livre magnifique de Michon, à l'écriture somptueuse, parfaite, est tout frémissant d'une implicite question angoissée: et moi, suis-je élu?
Oui, Pierre Michon l'est. Et, en fait, on voit qu'il le sait bien.
Pierre Michon, Rimbaud le fils, Folio
Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud
Commentaires
Je pense que Rimbaud a beaucoup de disciples et d'imitateurs, au contraire. Je pense que Blaise Cendrars par exemple lui doit beaucoup, ou même Saint-John Perse.
Personnellement, de surcroît, je n'ai pas souvent aimé un poète en fonction de ce qu'on me disait qu'il fallait aimer. Il est vrai qu'on pose Rimbaud comme modèle, et que, peut-être, beaucoup acceptent ce postulat, mais en ce qui me concerne, cela m'a simplement indiqué qu'il fallait que je le lise, et non qu'il fallait que je le regarde à mon tour forcément comme un modèle. J'ai eu tendance à juger d'après l'intensité d'émotion que provoquait en moi la lecture d'un poète, et j'ai préféré, à la même époque où je l'ai lu, Baudelaire à Rimbaud, parce que le monde de Rimbaud était théoriquement plus intense, émotionnellement parlant, mais dans les faits, celui de Baudelaire m'a paru plus architecturé, et plus approprié à ce qu'on y chemine : celui de Rimbaud m'a paru un peu vague et sans repères, en comparaison. L'émotion restait plus à l'extérieur, dans les mots.
Après lecture de Rimbaud, tout ambitieux poetaillon devra ne garder sa plume que pour faire la liste des commissions.
Quelqu'un, parmi vous, a-t-il lu Rimbaud? Qu'en avez- vous retenu? Merci.
TOUT LE MONDE a lu Rimbaud. Même ceux qui ne l'ont pas lu. Ils ont des images, pas plus fausses peut-être que les miennes. Moi, c'est Une saison en enfer. L'éclat de la langue, son énergie, la vitalité, la fureur et la mélancolie.
Et, que Rimbaud ait ouvert des chemins, cher R.M., évidemment. Mais personne n'ose écrire comme lui, de la même façon que personne n'ose écrire comme Céline: ça devient tout de suite de la parodie. Alors que beaucoup d'auteurs écrivent comme Maupassant.
C'est aussi de la parodie, mais c'est sûr que le naturalisme, c'est plus passe-partout. Cependant, je pense que certains imitent vraiment Rimbaud, quoiqu'ils disent qu'ils ont essayé de reproduire sa démarche. Même Anna de Noailles reprenait volontiers sa capacité à donner une couleur au temps:
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, etc. (C'est ce que j'ai retenu de Rimbaud. Une atmosphère profonde, forte, mystérieuse, mais un peu évanescente, fuyante. Frustrante?)
Qui sont les auteurs qui écrivent comme Maupassant? Etant plongé jusqu'aux cheveux dans l'univers de ce conteur unique, je désire connaître les noms de ces auteurs qui écrivent comme Maupassant? Des Vaudois par hasard? Ou des Auvergnats? Peut-être des Japonais?
Merci d'avoir enlevé le genevois du titre, ça faisait un peu province fière.
Peut-être Alain B. a-t-il voulu désigner tous les écrivains naturalistes, tandis que la voix d'un poète est plus originale, parce qu'il met plus de lui-même dans son style. Mais personnellement, je ressens comme appartenant à la lignée de Maupassant les écrivains qui présentent le monde provincial et paysan comme un peu misérable, quoique traversé d'éclats de lumière. Par exemple, je trouve que Marcel Aymé écrit un peu comme Maupassant. En tout cas, c'est un peu le même genre. Même son goût pour un fantastique pas toujours enchanteur et plutôt inquiétant se retrouve, je pense. Et c'est plutôt de la bonne littérature aussi, globalement. Personnellement, j'ai l'impression d'avoir lu tellement de bons livres qu'il me paraît assez vain et illusoire de rendre unique et inouï un écrivain en particulier. Mais cela doit correspondre à une attente, dans le public.
Sinon, province fière? Vous pensez que le titre "République des livres", du blog de Pierre Asssouline, se rapporte un peu trop à la France, excluant tous les pays qui ne s'identifient pas en premier lieu comme "républiques"? (Par exemple: la Belgique, pour ne prendre que les francophones.) Or, somme toute, la France elle-même n'est qu'une province du monde. Mais les langues sont liées elles aussi à des lieux, sont des formes locales de ce qui peut être dit dans toutes les langues, et le fait est que la langue française est issue de Paris; si vous ne vous identifiez pas comme Genevois, mais qu'on constate que vous êtes francophones, on pourra se dire que vous vous rattachez à Paris - ou à la France, au moins. Or, personnellement, je crois que la culture spécifique française n'est pas réellement représentative de l'ensemble de la culture littéraire francophone, et je pense qu'Amiel, par exemple, n'eût pas été possible à Paris. Or, j'aime infiniment Amiel. Et je crois que lui-même se distinguait assez consciemment de l'école française. Personnellement, je préfèrerais me rattacher à Amiel qu'à Maupassant. Et si vous ne dites rien, vous serez davantage rattachés à Maupassant, par la force du pôle naturel que représente Paris. La frontière peut aussi protéger; et de fait, je crois qu'elle a permis à quelqu'un comme Amiel d'éclore. Mais vous faites ce que vous voulez.
@ mr ,
Marcel Aymé et Maupassant ? Je n'aurai pas fait le rapprochement !
mais rester sur sa faim en lisant Rimbaud ? ça , oui !