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  • McDonald ou restaurant trois étoiles?

    Par Pierre Béguin

    Il en va toujours ainsi. C’est inévitable. Chaque période traversée par un événement spécial voit en proliférer des cohortes. 
    Je veux parler de tous ces opportunistes et ces tartufes qui se hissent sur des circonstances particulières pour atteindre une petite notoriété médiatique que leur médiocrité ne leur aurait pas permis d’acquérir en temps normaux. Avant, lesdites circonstances dépassées, de retourner à l’anonymat qu’ils n’auraient jamais dû quitter. 
    La période Covid ne fait pas exception. Et la production de livres en est la preuve.
    La première vague de ce printemps à peine terminée, le déconfinement à peine commencé, que déjà les librairies proposaient, bien en vue dans leurs rayons, les premiers livres sur la pandémie. «Mon confinement», «Mon journal de la pandémie», ou quels que fussent leurs titres – je ne m’en souviens plus – je me demande bien comment un lecteur potentiel qui sort de deux mois de confinement peut avoir envie d’y retourner aussi sec au travers des élucubrations d’un quidam qui l’a vécu dans les mêmes conditions que lui. Vice ou pathologie?
    La deuxième vague à peine commencée, un demi-confinement qui ne veut pas dire son nom et qui joue au yo-yo pour contrôler les colères, et voilà que suit immédiatement une deuxième vague de livres bien en vue sur les rayons. Au hasard: Vaincre les épidémies, ou de la prise de conscience aux gestes qui sauvent Aux origines de la catastrophe, ou pourquoi en sommes-nous arrivés là? - etc. etc.
    On le voit, les titres ont changé. On ne comprend encore rien à ce virus, mais déjà des spécialistes nous disent tout ce que personne ne sait, pas même lesdits spécialistes. 
    Et puis, il y a aussi les inévitables figures connues de la première vague auxquelles on a demandé d’écrire en urgence - ou plutôt de faire écrire par le journaliste de service - leur expérience pour surfer sur leur nom, inconnu du grand public il y a quelques mois encore. Si possible avec leur portrait en grand sur la couverture – leur visage, à force d’envahir les écrans, nous étant souvent plus familier que leur nom. A titre d’exemple: Daniel Koch, calme dans la tourmente - et je vous passe les autres.
    Et puisque la période s’y prête, saupoudrons-là d’un zeste de sagesse et de philosophie bon marché. Alors vite, adressons-nous à nos trois grands sages qui vont nous concocter un nouvel Abécédaire de la sagesse, des fois que nous serions trop cons nous-mêmes pour «trouver la voie». 
    On imagine très bien quels seront les livres qui vont accompagner la troisième vague. Viendra bientôt le temps des règlements de compte, le temps de ceux qui savaient tout dès le début, «qui nous avaient pourtant bien dit que...». On se réjouit.
    Bon! Il y a ces lecteurs ou lectrices qui veulent des livres leur permettant de macérer dans le problème, certes. Mais il y a aussi, à l'opposé, celles et ceux qui veulent des livres pour "se changer les idées". Et surtout ne pas réfléchir, «ne pas se prendre la tête», comme ils (elles) disent. Pas de problème! On a ce qu’il vous faut! Alors, bien en vue à côté des livres traitant du Covid et de ceux proposant une sagesse «prête-à-porter», on voit trôner les inévitables Guillaume Musso, au titre en forme de clin d’oeil (La vie est un roman), ou encore Marc Lévy, au titre plus énigmatique (C’est arrivé la nuit).
    Ainsi font font font les livres au temps du coronavirus.
    Je comprends les éditeurs. Je comprends les libraires. Mais je ne comprends pas les lecteurs. 
    La plus petite librairie regorge de classiques qui sont autant de chefs-d’oeuvre. A prix égal, et à moins d’être Américain(e)s, préférerions-nous aller dans un McDonald ou dans un restaurant trois étoiles? 
    Le consommateur ou la consommatrice, en matière de livres, préfère le McDonald. Et pourtant, il (elle) n’est pas Américain(e)!

    Pas encore!