Weinstein, en marge de l'affaire... (26/10/2017)
Par Pierre Béguin
Que les langues se délient, oui! Que l’on châtie les violeurs, oui! Mais que cette affaire se mette de plus en plus à dégager l’odeur nauséabonde des sorcières de Salem, non! A plus forte raison par des moyens aussi douteux que ceux du genre «dénonce ton porc!» Qui dira jusqu’où ce genre de procédés peut nous mener? Et surtout, qu’on ne vienne pas s’étonner maintenant de pratiques – pour odieuses qu’elles soient – aussi connues de tous et de toutes lorsqu’il s’agit du monde du cinéma et de la télévision (ajoutons, de la musique, de la mode, etc.). Tenez! Prenons un simple exemple: la seconde tournée américaine des Rolling Stones (juin-juillet 1972). Voici ce qu’en dit Stanley Booth, journaliste et ami du groupe:
«… Les autres attractions de la tournée comportaient un médecin ambulant, des hordes de dealers et de groupies, et de grandes scènes de sexe et de dope. Je pourrais vous décrire dans le moindre détail les saccages et les orgies dont j’ai été témoin – et auxquels j’ai participé – au cours de cette tournée, mais quand on a vu assez de nouilles sur la moquette, de flaques d’urine sur les tapis et d’organes sexuels giclant en vagues, tout finit par se confondre…».
Plus de détails? Voici ce qu’en dit Keith Richards lui-même (in: Keith Richards, Life):
«Appelons Dr Bill le médecin accompagnateur. Il était surtout là pour le cul. Et comme il était jeune et plutôt beau gosse, il en profitait un max. Il s’était fait fabriquer des cartes de visite sur lesquelles il avait écrit quelque chose comme «Dr Bill, médecin des Rolling Stones». Il se promenait dans le public avant le début du spectacle et distribuait vingt ou trente de ses cartes aux filles les plus belles, les plus sexy, même si elles étaient avec un mec. Au dos, il inscrivait le nom de notre hôtel, le numéro de la suite. Et il arrivait que des nanas maquées rentrent d’abord chez elles, puis reviennent nous voir. Le Dr Bill savait qu’il parviendrait à ses fins s’il leur promettait de nous les présenter…» Devinez la suite! Keith Richards ne dit pas tout? Citons donc François Bon dans son livre Rolling Stones, une biographie:
«La scène centrale, c’était la scène de l’avion. On a souvent ces filles qui s’accrochent à la tournée. On propose à l’une d’entre elles de les accompagner jusqu’à la ville suivante, en montant avec eux dans le DC-7. Un médecin fait partie de l’équipe, et bien sûr on le surnomme Dr Feelgood (ou Dr Bill selon Keith Richards): veut-il leur prouver qu’il n’est pas là qu’en tant que sauveteur des corps? A peine la fille dans l’avion, on la déshabille, elle se laisse faire. Aucun des membres du groupe ne participe à la suite. Mais ils sont présents et complices, puisque Jagger et Richards jouent du bongo et du tambourin tandis que le médecin s’amuse: la fille levée à bout de bras et sucée là en plein ciel, exhibée devant quinze types. On la renverra par un vol commercial retour. Elle portera plainte, on calmera l’affaire avec un chèque…» Honneur à Bill Wyman: il change de place pour aller tout à l’avant de l’avion, pose le front sur le hublot et s’y absorbe. Aurait-il pu faire mieux?
Sachant que cet exemple – depuis plus de cinquante ans que ce type de tournées rock and roll existe – peut aisément se compter en milliers, on se demande bien ce qui pourrait sortir de cette boîte de Pandore depuis que l’affaire Weinstein l’a ouverte. Il doit y en avoir en ce moment des musiciens et des chanteurs en train de trembler dans leur slip…
Pour ma part, cette affaire me renvoie huit ans plus tôt au moment où l’intelligentsia suisse accueille par un concert d’indignation l’arrestation du cinéaste Roman Polanski à la suite d’une demande d’extradition de la justice américaine (pour les faits que tout le monde connaît). Ainsi d’Ursula Meier: «Pourquoi un artiste?» Oui, tiens, c’est vrai au fond, pourquoi un artiste même s’il a sodomisé une mineure de treize ans? (tandis que pour un «vieux porc» de producteur, c’est différent). Ou de Lionel Baier: «Ce qu’il y a derrière, c’est une méconnaissance, voire un mépris des milieux culturels de ce pays. Roman Polanski laisse une trace réelle dans l’histoire de ce siècle…» (une trace qui justifie bien quelques viols, donc). Ou encore de Jacques Chessex: «Nous avons trahi Roman Polanski, nous qui sommes une terre d’asile…» (une terre d’asile qui doit donc s’ouvrir aux responsables d’actes pédophiles, pour autant qu’ils soient commis par des artistes de renom). Jacques Chessex s’excuse, il ne pourra pas me répondre, mais il en aurait eu l’occasion lorsque, en 2009, j’ai écrit sur Blogres un article sur le sujet – Polanski, ou selon que vous serez artiste ou financier), mais je serais curieux d’entendre l’opinion d’Ursula Meier ou de Lionel Baier (par exemple, tant d’autres «artistes» s’étant alors indignés de concert, probablement pour s’attirer les bonnes grâces du «Maître») sur l’affaire Weinstein. Quoi qu’il en soit, il est démontré qu’un producteur n’a pas droit au même traitement de faveur qu’un cinéaste reconnu. Et que ces pratiques odieuses n’ont pas soulevé l’indignation générale aussi longtemps que seuls des artistes célèbres en étaient accusés (Polanski, Woody Allen, etc.). Il aura fallu qu’un «gros porc» de producteur…
Eh oui, Mesdames, tout le monde savait, à commencer par vous!
17:14 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Bonne piqûre de rappel.
Écrit par : hommelibre | 27/10/2017
Excellent billet, merci. Vous voyez un droit de cuissage de la part des artistes,
j'y vois plutôt un aspect de revanche raciale. Baiser la femme des autres, et la baiser "méchamment", c'est-à-dire l'enculer (en toutes lettres, cessons de jouer aux Tartuffes...) fait partie d'une stratégie plus ou moins consciente de revanche. J'ai commencé à soupçonner cela en lisant "Ma vie d'homme" de Philip Roth. Je ne cite pas qui seraient soupçonnés de "revanche raciale" mais bon, il y a peut-être un point commun entre Weinstein, Strauss-Kahn, Woody Allen, Polansky...et Philip Roth.
Écrit par : Géo | 27/10/2017
Géo, je vous laisse la responsabilité de votre hypothèse, ou de votre interprétation. Quant à moi, comme vous le dites, j'y vois en effet une sorte de droit de cuissage, ou plutôt cet irrépressible tendance qu'ont les humains (des deux sexes et de toute race) à profiter d'une situation de force au détriment de celles ou de ceux qui la subissent.
Mais votre commentaire me renvoie à cet extrait de "Prières exaucées" (1986) de Truman Capote, que je ne peux m'empêcher de porter à votre attention:
"Quant à la femme du gouverneur, c'est simple! Elle incarnait pour Dill tout ce qui lui était refusé, interdit en tant que juif, si séduisant et si riche qu'il fût: le Racket Club, le Jockey, le Links, Chez White - ces endroits où il ne s'assiérait jamais à une table de trictac, ces terrains de golf où il ne putterait jamais, et ces saintes petites écoles de Nouvelle-Angleterre que ses fils ne fréquenteraient jamais. Qu'il l'avoue ou non, c'est pour ça qu'il voulait baiser la femme du gouverneur. Pour se venger sur son truculent trou du cul de truie, la faire transpirer, s'égosiller et l'appeler papa".
Précisons que cet extrait appartient au chapitre intitulé "La Côte Basque" (enseigne d'un resto chic sur la 5e Ave) publié dans une célèbre revue new yorkaise en 1976 et qui valut à Capote l'anathème de la jet set.
Personnellement, je continue de penser que ce type de vengeance n'a strictement rien à voir avec la race: il serait si facile d'accumuler les contre-exemples.
Écrit par : Pierre Béguin | 03/11/2017
Race n'est pas le bon mot, vous le savez bien...
Je faisais référence au livre de Philippe Roth, où le héros exprime sa judéité par rapport au monde wasp américain. Et bon, la sexualité, eros, est souvent bien loin de philia. Le viol comme arme psychologique dans la guerre de Yougoslavie (et beaucoup ces temps au Congo, mais c'est moins médiatisé...).
Écrit par : Géo | 04/11/2017
"Je ne cite pas qui seraient soupçonnés de "revanche raciale"
Il ne cite pas....
... Weinstein, Strauss-Kahn, Woody Allen, Polansky...et Philip Roth."
"mais bon, il y a peut-être un point commun entre.."
Et pas de points communs est avec les prêtres pédophiles, Dutroux, avocat..... j'en passe des vertes et des pas mûres où la "revanche raciale" de ceux que vous ne "citez pas"..... ne fait pas le poids dans la balance, tant en nombre qu'en âge!
Encore un commentaire anti-juif, qui n'a pas échappé à Pierre Béguin, à mettre à votre actif Géo!
Écrit par : Patoucha | 04/11/2017