La lumière des mots qui chantent (25/01/2011)
par antonin moeri
Qu’il évoque un square parisien, les vagues du Grand Océan, une promenade à Tokyo, le tableau d’un maître ancien ou une nouvelle de Patricia Highsmith, Jean-Louis Kuffer a l’art de capter l’attention de celui qui l’écoute. Une lecture attentive des textes de Charles-Albert Cingria a certainement développé chez lui cette disposition. C’est à quoi je songeais hier soir, dans une cave veveysanne, où Kuffer a lu des passages de son dernier roman «L’enfant prodigue», paru aux éditions «D’autre part».
C’est dans un état voisin de la transe qu’il a rédigé ce livre. Les bonheurs d’écriture y sont si nombreux qu’un lecteur de ma sorte ne peut que donner son adhésion. L’enfance, la découverte des mots, puis des premiers émois liés à ce qu’il est convenu d’appeler la sexualité, la naissance et le premier fou rire d’une fille du narrateur, le lyrisme de nos dix-huit ans, le roman familial, la conscience de la finitude et de la mort, l’aube où le conteur ressaisit les parfums, les sonorités, les grondements, les soupirs et les couleurs d’un monde avec lequel une réconciliation est enfin possible, tout cela est raconté dans une langue de jubilation et de foisonnement qui vous entraîne comme un swing ou un quatuor de Shostakovitch.
Foisonnement des comparaisons, des propos entendus, des images, des mots à tout faire, des verbes surprenants, des cadences et des répétitions. Kuffer fait danser la phrase, lui insufflant une efficacité mimétique. Il nous fait voir ce qu’il imagine, il nous promène dans le cirque de sa mémoire avec la verve d’un prestidigitateur. Il ne se contente pas de décrire ou de faire parler des personnages, il apprivoise les mots, les nourrit, les soigne, les charge d’un sens particulier. Il fait chanter les oiseaux qui nichent en eux. Comme si le logos était notre seule défense contre la mort.
Et c’est cela que nous communique l’auteur. Par-delà bien et mal, un amour véhément de la vie qui n’évacue pas l’attention aux autres, à la femme demeurée que violentent les lascars du quartier, au petit Mickey méprisé par son père, battu par sa mère, et qui choisira la mort violente en se jetant sous un train. «L’enfant prodigue» est un long et magnifique poème que nous sommes invités à habiter.
Jean-Louis Kuffer: L'enfant prodigue, éditions d'autre part, 2011
02:18 | Lien permanent | Commentaires (10)
Commentaires
Comment ne pas passer commande illico après la lecture de ce billet... Merci!
La photo est superbe; savez-vous qui en est l'auteur?
Écrit par : colette | 25/01/2011
Faudrait le demander à Jean-Louis. Car c'est lui-même enfant sur cette photo qu'il a mise sur face de bouc. J'imagine que c'est sa mère ou son père ou sa tante qui a pris cette photo. Quant au livre, je vous assure, c'est magnifique. Je l'ai lu en une nuit. Ce n'est pas parce que je connais JLK depuis longtemps que je le dis. Il a écrit des livres que je n'aimais pas. Cette fois, il a fait un saut. Ciselant une écriture envoûtante, sensuelle, désencombrée.
Écrit par : antonin m | 25/01/2011
Charles-Albert Cingria, un superbe écrivain!
Écrit par : RM | 25/01/2011
mais encore cher Rémy
Écrit par : am | 25/01/2011
La capacité à charger les images apparemment neutres de secret, de mystère, de profondeur, de féerie, même.
Écrit par : RM | 25/01/2011
oui eh bien on retrouve ça dans le très beau livre de Jean-Louis Kuffer. Avec une influence bernhardienne en plus. Dans les répétitions, les reprises de certains termes, mots à tout faire, poncifs, sonorités entendues. Vous devez à tout prix lire "L'enfant prodigue". C'est de la dentelle rare sous nos latitudes.
Écrit par : am | 25/01/2011
Chère Colette,
j'ai finalement pensé que la photo était de Philippe Seelen, l'artiste avec qui travaille JLK mais celui-ci m'a répondu qu'il l'avait reçue sur face de bouc et, comme il a 1500 "amis", il ne sait plus de qui il l'a reçue.
Donc ce n'est pas JLK enfant comme je l'ai affirmé avec désinvolture.
Veuillez m'en excuser.
Écrit par : toni | 25/01/2011
Merci Toni, l'important n'est pas tant l'identité de l'enfant que l'extraordinaire composition et l'originalité de la photo, non?
Écrit par : colette | 25/01/2011
parfaitement d'accord avec vous, cette photographie est sidérante, quand je l'ai vue, je fus conquis, alors que l'art photographique ne m'a jamais touché, sauf peut-être les photos d'Henriette Grindat et celles de Simone Oppliger. Bonne soirée.
Écrit par : toneli | 25/01/2011
Puis-je emprunter cette photo magique?
Écrit par : Ambre | 19/05/2015