Alain Bagnoud chante le blues (24/10/2010)

Par Pierre Béguin

Bagnoudcouverture[1].jpgEn l’occurrence Le Blues des vocations éphémères. Ces vocations artistiques qui, dans ce troisième volet d’une trilogie commencée dans l’enfance avec Le Leçon de choses en un jour, et poursuivie dans l’adolescence avec Le Jour du dragon, agitent des protagonistes qui ont maintenant vingt ans, tiraillés entre musique, peinture et écriture, Car nous les retrouvons avec plaisir, ces personnages devenus familiers. Dogane, le fils d’immigrant, le révolté aux allures romantiques avec ses yeux flamboyants, sa chevelure bouclée et sa grande cape noire, et qui va faire son coming out. Léonard l’égocentrique, le d’Artagnan de la conquête féminine qui collectionne les échecs avec la suffisance aveugle de sa candide vanité. Et notre narrateur complice, plus torturé, introverti, dont la timidité exacerbe l’orgueil, souvent en décalage ou en retard d’une guerre. D’autant plus qu’il se retrouve, dans la pure tradition du roman d’apprentissage, figure de l’exil comme le cygne de Baudelaire, précipité de son Valais natal dans la grande ville universitaire au début des années 80, en ces temps de folie, de liberté, d’insouciance qui précédèrent le sida, les yuppies et l’argent facile, et dont la démesure prête parfois à la caricature. Une période bénie que l’auteur ressuscite avec talent et sagacité.

Car Alain Bagnoud possède cette capacité à créer un décor, une ambiance, une atmosphère, à déterrer les trésors de la mémoire, avec une grande finesse d’analyse saupoudrée d’autodérision et d’humour tendre. Son enfance fut aussi valaisanne et catholique que la mienne fut genevoise et protestante. Et pourtant, dans le premier volet de ces autofictions (La Leçon de choses en un jour) elles n’en demeurèrent pas moins étrangement semblables à la confrontation des souvenirs. J’ai ressenti une impression similaire à la lecture de ce troisième volet. Le jargon estudiantin, les postures du pseudo «lettreux», sa suffisance qui cache ses ignorances et son manque d’assurance, son idolâtrie de quelques gourous verbeux à la mode. Et bien d’autres travers, caractéristiques et anecdotes que j’ai connus, qui m’avaient alors souvent amusé, parfois irrité, et que l’auteur sait admirablement faire revivre pour notre plus grand plaisir. Car ce blues là, dans sa ligne mélodique, chante le bonheur, l’insouciance et la nostalgie heureuse. Même si, en profondeur, il contient des accents plus graves et récurrents comme un refrain douloureux, une thématique déjà abordée dans les deux livres précédents et qui sert de fil conducteur à cette trilogie: la lente et difficile maturation vers l’écriture. Pourquoi et comment devient-on écrivain? La réponse n’est pas dans le vent mais peut-être bien quelque part dans ce roman, entre l’Université de Genève et le Valais d’Aulagne.

Alain Bagnoud : Le Blues des vocations éphémères, Editions de l’Aire

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