Le Moyenâgeux (19/09/2010)

Par Pierre Béguin

C’était au tournant des années 70 / 80.

C’étaient les premières lézardes sérieuses du modèle littéraire dominant dans les années 60, celui du nouveau roman et du structuralisme. Une littérature essentiellement formaliste, autoréférentielle, dont le modèle linguistique postule une césure nette entre le signe et le référent. Une littérature intransitive – selon la formule de Roland Barthes, – qui évacue le sujet, ou qui le désigne en négatif, et qui n’a d’autre objet qu’elle-même. Les écrivains sont alors convaincus que la littérature est impropre à faire advenir le réel, qu’elle ne peut se développer que dans le monde du verbe, qu’elle ne peut parler que d’elle-même, définitivement mallarméenne…

C’était l’époque où, à la faculté des Lettres, un groupe autoproclamé – apôtres fanatisés des gourous Derrida et Lacan, dont ils ne saisissaient par ailleurs pas toujours clairement la Parole – exerçait un terrorisme intellectuel sur les nouveaux étudiants peu aguerris au modèle autoréférentiel (n’est-ce pas Jean-Michel?). Auto satisfaction élitiste. Monde du happy few. Few certainement, happy pas vraiment. A force d’expérimentation, on atteint vite les limites de l’intelligibilité. Incompréhension. Impasse. Perte de lectorat.

Guerre froide, fin des trente glorieuses, conséquences de mai 68 – et peut-être aussi le tremblement produit par les livres de Soljenitsyne, plus particulièrement L’Archipel du Goulag –, au début des années 80 la rupture est consommée: c’est le grand retour du sujet, comme il se doit par ceux-là même qui l’avait exclu. Marguerite Duras (L’Amant), Claude Simon (L’Acacia), Alain Robbe-Grillet lui-même (Le Miroir qui revient), Nathalie Sarraute (Enfance) réhabilitent le «je» dans la foulée de Leiris (La Règle du jeu) ou de Perec (W ou le souvenir d’enfance). Retour du sujet et, donc retour du réel, de l’histoire, voire de l’Histoire. Les écrivains se persuadent alors qu’il faudrait (re)commencer à dire quelque chose du monde.

Mais si la littérature transitive revient au goût du jour, elle n’en reviendra pas pour autant aux anciennes formes critiquées et déconstruites par les formalistes. Le retour du «je» prend vite la forme de l’autofiction sous l’influence de Doubrovsky (Fils) et de Sollers (Femmes). Quant à l’objet, les traumatismes de la fin du XXe siècle (remise en cause de l’humanisme, des Lumières, du progrès; crises économique, politique, morale) le relèguent au lieu de l’interrogation, du désarroi, de l’égarement. On ne croit plus aux grands modèles mais on ne trouve aucun modèle de substitution. La littérature contemporaine ne sait plus où elle va, elle ne dit plus ce qu’elle doit être (contrairement au surréalisme ou au nouveau roman qui affirmaient (trop) péremptoirement ce que la littérature devait être). En ce sens, elle ne produit plus de manifestes, de théories. Et si elle s’interroge, c’est sur un présent qu’elle ne comprend pas.

Cela s’appelle le post modernisme. Une appellation pas vraiment contrôlée et bien représentative d’une époque sans réelles valeurs ni convictions humaines, qui n’a plus de passé, qui n’est plus tendue vers l’avenir, en manque patent de transmission. Le post modernisme, ça vous a des sonorités de fin de partie. Que pourrait-il bien transmettre? Que pourrait-on trouver après l’après? Le néo passéisme?

Alors, comme dit le poète, «pardonnez-moi, Princes, si je suis foutrement moyenâgeux!» et si mes références littéraires puisent plus souvent dans le passé que dans le présent. Ce billet d’ailleurs pourrait bien rester une exception…

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