Simplifier le français (19/05/2009)


Par ANTONIN MOERI

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Professeur de sociolinguistique à l’université de Grenoble, Marinette Matthey vient de sortir aux éditions de l’Aire un livre très intéressant. Ce livre rassemble les chroniques que Marinette Matthey envoie chaque semaine au journal pipole “Le Matin” et une série d’articles parus dans diverses revues genre “L’Educateur” ou “Bulletin de la Haute École Pédagogique”.
L’auteur revendique clairement cette posture à la frontière entre l’université et les médias, d’abord parce qu’elle aime écrire et qu’elle préfère être lue par le plus grand nombre, ensuite et surtout parce que “les chercheurs en sciences humaines ont besoin d’atteindre le grand public depuis que le financement de la recherche est lié à la visibilité des résultats, autrement dit à leur reprise dans les médias”. Jean Kaempfer, prof à l’université de Lausanne, est du même avis en ce qui concerne la recherche dite littéraire.
Que ce soit à propos de la féminisation des noms de titre ou de fonction, de la droite décomplexée, des gros mots de Fadela Amara, des termes en -isme, de la langue comme condition d’intégration, de l’enseignement de l’orthographe dans les écoles publiques, du savoir populaire, de l’étymologie de certaines expressions, du langage SMS ou des langages suisses romands, Marinette Matthey se montre agile (souci didactique tout en parlant au lecteur de manière claire et détendue), exigeante, parfois cocasse, compréhensive, subtile, convaincante. Son rapport à la langue française (que Céline qualifiait d’impériale) est fait de distance, de réflexion, d’attirance, de tendresse. On sent que l’auteur aime cette langue. Elle pense que sa syntaxe et son orthographe devraient être simplifiées pour que chacune et chacun puisse se l’approprier à moindre coût. C’est sans doute ce “moindre coût” qui déterminera, dans les années à venir, l’évolution d’une langue qu’on ne peut plus réserver aux héritiers ni figer dans un irrespirable carcan.
Ce rapport à la langue implique une prise de position sur l’échiquier politique (les allusions à Rocard, Meirieu, Nina Catach et Ségolène Royal l’expriment clairement). Rapport à la langue exactement opposé à celui d’un Renaud Camus pour qui la soumission aux lois du langage et le respect des nuances syntaxiques sont une manière de réserver un espace à l’Autre. Peut-être Renaud Camus s’intéresse-t-il davantage à la langue pour elle-même (encore que...) et que Marinette Matthey s’intéresse davantage aux “gens qui parlent” (encore que...).

Une dernière chose. Le préambule m'a touché. Les saisonniers qui parlent l'italien dans l'immeuble où grandit la petite Marinette. Eclats de voix. Rires.  Buongiorno. Porca miseria! Première prise de conscience. L'ordre de la langue n'est pas celui des choses. Les mots-souvenirs dans le cercle familial. La lecture qui devient une addiction, et puis l'université. C'est raconté avec pudeur, sans effets oratoires. On interroge ses racines, si j'ose dire. Histoire d'une fillette qui a retroussé ses manches, qui construira une vie à elle, alors que le papa aurait tellement voulu un garçon.

 

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