Objet du désir (28/10/2008)

pierre_michon.jpgPAR ANTONIN MOERI


Il existe à Genève une librairie fréquentée par des étudiants. Dès qu’il me voit, un des vendeurs (garçon magnifique au regard clair, cheveux en bataille) me sourit. Un vrai sourire qui n’a strictement rien d’un sourire commercial. Nous échangeons des propos mordants. Je lui parle de Bounine, il me parle d’Alain Badiou. Il me dit qu’il possède une édition assez rare portant la signature et une dédicace de cet auteur. Je lui raconte quelques souvenirs de ma vie nocturne à Paris, d’une soirée à La Coupole en compagnie de Blin et de Beckett. Aujourd’hui, le fervent libraire me parle de Pierre Michon et, plus particulièrement, de « La Grande Beune ». Je lui dis que j’ai rencontré à Soleure un garçon qui avait écrit sa thèse sur cet auteur et que je n’ai jamais lu « Vies minuscules », malgré la recommandation d’Alain Bagnoud. « Vous devriez absolument lire La Grande Beune, c’est le nom d’une rivière qui coule à Castelnau ». J’observe le mouvement de ses lèvres, ses doigts fins posés sur le comptoir, son visage gracieusement penché. Je lui demande pourquoi il me parle de ce livre. « J’ai senti que je devais vous en parler ». C’est exactement le genre de parole qui suscite en moi le désir de lire. J’ai aussitôt acheté le petit livre de Michon. L’ai posé sur ma table. En première de couverture, « La perte de la virginité », de Gauguin et, sur la quatrième :  « Yvonne suscite chez le narrateur une convoitise brûlante et toutes les variations d’un émoi qu’il nous fait partager au rythme de sa phrase emportée comme un galop de rennes». Une convoitise brûlante : je ne pense pas que Michon eût employé cette image figée. Et s’il avait osé comparer sa phrase à un galop de rennes, personne ne lirait sa prose.

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