Les vrais responsables de la crise énergétique (14/01/2023)

Par Anouchka Meier-Jones

Une enquête de 150 pages sur les causes de la hausse des prix des énergies, menée par Rémy Prud’homme aux éditions L’Artilleur (2022), conduit à écarter les explications qu’on nous ressasse et à démasquer les vrais coupables : les décideurs politiques qui sont à l’origine de ces explications fumeuses. Mais, d’abord, qui est Rémy Prud’homme ?
Diplômé de HEC et d’Harvard, Rémy Prud’homme a été professeur d’économie à Phnom-Penh, Lille, Paris XII, au MIT et à Venise. Il a été directeur-adjoint de l’Environnement à l’OCDE et consultant de la Banque Mondiale.
Pour expliquer la crise énergétique, deux dates sont significatives, 2008 et 2021, insiste Prud’homme : « 2008 est une année clé pour le prix de l’électricité en France : ce prix (en termes réels) diminuait régulièrement avant, il augmente régulièrement après. Pour le pétrole et le gaz, 2008 est le début d’une période de prix élevés dans le monde, qui vont diminuer à partir de 2012. En 2021, les prix du pétrole, et surtout du gaz, s’élèvent considérablement. » (p. 144)
Les gouvernants, leurs chargés de communication et les médias à leur suite, avancent quatre explications à la crise énergétique : 1) les coûts de production des énergies, 2) la guerre en Ukraine, 3) l’épidémie de Covid-19 et 4) l’OPEP. Ces causes mises en avant, note Prud’homme, sont des boucs émissaires commodes, qui permettent aux décideurs politiques de se dédouaner plutôt que d’assumer leurs erreurs : « Ces quatre prétendues causes de la hausse des prix des énergies ont un trait commun : elles échappent (presque) totalement au contrôle, et donc à la responsabilité, de nos gouvernants. » (p. 145)
1) L’argument malthusien de la hausse des coûts de production ne tient pas : « La thèse de la raréfaction et de l’enchérissement des ressources naturelles a été constamment démentie par les faits : la durée de vie des réserves de pétrole et de gaz (et de la plupart des minéraux), loin de diminuer au fur et à mesure de l’extraction, augmente au contraire constamment. Il y a une course entre les contraintes de la géologie et les progrès de la technologie. Et c’est la technologie qui gagne cette course. L’exemple le plus frappant est offert par le gaz de schiste aux Etats-Unis. » (p. 146)
2) La guerre en Ukraine est postérieure à la hausse des prix : « Le discours de la responsabilité de l’invasion de l’Ukraine résiste mal à l’analyse des faits. Il suffit de considérer le calendrier, qui fournit un alibi de premier ordre. Cette invasion et les malheurs qu’elle entraîne datent de février 2022, après les hausses des prix de l’énergie intervenues en 2021. L’effet ne peut pas précéder la cause. » (p. 147)
3) La Covid-19 a induit une baisse de prix des énergies : « Les hausses de prix de 2021 sont certes postérieures à la pandémie de Covid-19, mais corrélation n’est pas causalité. Il n’y a aucun lien logique entre les deux événements. La pandémie ne peut évidemment pas expliquer la vague des hausses de prix de l’énergie de 2008. Elle ne peut pas non plus expliquer celle de 2021. La pandémie de 2020 a engendré une baisse historique de l'activité économique du monde, qui a, comme on peut s’y attendre, exercé une pression à la baisse sur les prix de l’énergie. Le monde a certes connu en 2021 un rebond de l’activité économique, mais qui a seulement remis l’activité mondiale à son niveau de 2019 » (p. 148).
4) L’OPEP ne va pas tuer la poule aux œufs d’or : « L’Opep a certes l’objectif de faire monter les prix du pétrole, mais il ne semble pas qu’elle en ait les moyens. Cet objectif n’est d’ailleurs même pas toujours partagé par l’Arabie Saoudite, le poids lourd du cartel, qui connaît l’histoire de la poule aux œufs d’or, et ne veut pas de prix excessivement élevés, qui risqueraient d’inciter ses clients à réduire à terme leurs achats. Toujours est-il que les réductions de l’offre (…) sont surtout intervenues lorsque les prix du pétrole étaient descendus à des niveaux très faibles (30 dollars le baril), et ont eu pour effet de faire remonter à des niveaux moyens (disons 70 dollars), plutôt qu’à des niveaux très élevés (120 dollars). (p. 148-149)
Les soi-disant responsables de la crise énergétique sont donc de faux coupables. Alors, quels sont les vrais ? Il y en a trois : 1) l’augmentation des taxes énergétiques, 2) les investissements dans les renouvelables intermittents et 3) la multiplication des obstacles à la production des autres formes d’énergie.
1) Les taxes sur les carburants ont pris l’ascenseur : « Le poids de la fiscalité des carburants est bien connu. En gros, ces taxes spécifiques doublent le prix hors taxes. L’essence et le gazole sont (après le tabac) de loin les biens les plus imposés en France et dans la plupart des pays industriels. Ce poids a nettement augmenté dans les années 2000-2010, notamment avec l’introduction des taxes carbone nationales et européennes. » (p. 149-150)
2) Le développement des renouvelables intermittents est coûteux et renforce la consommation de gaz : « Le développement à marche forcée des renouvelables intermittents (éolien et solaire) va dans le même sens, pour deux raisons. La première est que ces énergies sont coûteuses. (…) La seconde raison, moins évidente, est que l’intermittence de ces renouvelables impose le recours à des capacités de production thermique pour faire face à la demande lorsque le soleil est couché ou voilé et le vent inactif. Le procédé de recours le plus utilisé est le gaz naturel. On constate que l’électricité au gaz augmente lorsque l’électricité renouvelable intermittente augmente. » (p. 150)
3) Les énergies fossiles et nucléaire ont été diabolisées : « Le plus important a sans doute été la diminution des investissements dans les énergies classiques, autres que les intermittentes. Elle a été marquée : dans le nucléaire, présenté comme aussi immoral que le charbon ; dans le gaz de schiste, totalement interdit en Europe (…) ; dans le charbon et le pétrole, avec l’interdiction faite à toutes les agences d’aide au développement (…), et même aux banques privées, de financer des projets d’investissement dans les combustibles fossiles partout dans le monde. Moins d’investissement, moins de combustibles, augmentation des prix. » (p. 151)
Tels sont donc les trois véritables coupables, conclut Prud’homme : « Ces trois évolutions sont intervenues dans tous les pays développés au début des années 2000 et expliquent la forte hausse des prix des énergies à partir de 2008. On a là de vrais coupables. » (p. 151) Pour autant, ces trois évolutions ne sont pas tombées du ciel : elles sont « endogènes, résultant de politiques délibérées, volontaristes, engagées dans et par les pays développés. » (p. 152)
A l’origine de la crise énergétique, donc, des politiques résolues, imposées au nom d’une vision moralisante opposant le Bien au Mal : « Ces vrais coupables sont liés comme les doigts de la main. Ils procèdent d’une même philosophie, ou idéologie : la nécessité absolue de faire des renouvelables intermittents la pierre angulaire de l’offre énergétique. Cette nécessité prétend s’appuyer sur l’impératif moral de réduire les rejets de CO2 pour sauver la planète. Mais en réalité, elle a un fondement dichotomique, religieux, moral : les renouvelables, c’est le bien ; les autres formes d’énergie, c’est le mal – même le nucléaire qui ne rejette pas du tout de CO2. Il faut donc favoriser le bien et combattre le mal. Subventionner le bien (les renouvelables), et augmenter le prix du mal (les autres formes d’énergie). Cette politique conduit nécessairement à élever le prix de toutes les énergies. » (p. 152)
A ces véritables coupables viennent toutefois s’ajouter deux complices, à la responsabilité inégale : le taux de change de l’euro et l’Union européenne. La perte de valeur de l’euro a certes eu un impact, mais pas le plus important : « En une douzaine d’années, l’euro a perdu 30% de sa valeur. Corrélativement, le prix du pétrole a de ce seul fait augmenté en Europe de 40%. » (p. 154)
Le rôle de l’Union européenne a en revanche été considérable : « Le second, plus important, est le rôle des institutions européennes. Une bonne partie des décisions que l’on a appelées les vrais coupables des hausses de prix ont été inspirées – ou imposées – par la Commission, le Conseil ou le Parlement européens. Pour Bruxelles, l’Energiewende allemande a été le modèle à généraliser. Le tout-renouvelable, la haine du nucléaire, l’interdiction du gaz de schiste, les taxes carbone, le recours massif au gaz importé, tous ces facteurs de hausse des prix de l’énergie ont été activement promus par l’Union européenne. » (p. 154-155)
Ainsi que le conclut Prud’homme, « Au final, il apparaît que la hausse actuelle des prix de l’énergie résulte assez largement de décisions prises par les décideurs et les élites des pays développés. » (p. 158).
Ce qui apporte un bel éclairage sur la démission de la ministre suisse du DETEC : Simonetta Sommaruga. Le prétexte mis en avant ne convaincra que les naïfs qui admettent également les pseudo-explications de la crise énergétique. En réalité, au moment où le Titanic du DETEC vient de heurter un iceberg, l’amirale quitte précipitamment le navire pour ne pas avoir à répondre du mauvais cap maintenu jusqu’à ce que le choc révèle une erreur qu’on s’évertuait à faire passer pour l’unique voie envisageable.

 

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