Faut-il lire Céline ? (12/05/2022)
par Jean-Michel Olivier
Le problème, avec les fonds de tiroir, c'est qu'ils sont rarement publiés du vivant de l'écrivain. Et pour cause! L'auteur avait ses raisons. C'est le cas de Guerre*, premier volet d'une trilogie écrite entre 1932 et 1934, que Gallimard publie ces jours-ci. Les deux autres volets, plus importants, seront publiés en septembre et au début de l'année prochaine.
Je ne rappellerai pas le destin rocambolesque de ces textes, abandonnés dans l'appartement parisien par Céline en 1944, lors de sa fuite à Sigmaringen, textes qu'on croyait perdus ou détruits, et qui réapparaissent miraculeusement grâce à Jean-Pierre Thibaudat, ancien critique de théâtre à Libé ! Volés ou sauvegardés (c'est selon) par un groupe de résistants lors de la Libération en 1944…
Mais Guerre ? Il s'agit d'un texte fondamental dont l'intérêt est surtout historique, davantage que littéraire. Pourquoi ? Parce que Céline aborde ici la grande question (et les grand traumatisme) de sa vie : la Première Guerre mondiale et ses séquelles, psychiques, physiques, humaines. Ce thème sera au cœur du Voyage au bout de la Nuit, son plus grand livre. Il reviendra aussi dans toute son œuvre sous diverses formes et travestissements.
Guerre est donc un texte central, certes, mais c'est un texte brut (et brutal). Un premier jet qui comporte quelques ratures, des reprentirs et des modifications, mais qui n'a pas été retravaillé comme les autres livres de Céline qui multipliait les versions d'un même livre. Écrit au début des années 30, il semblerait que ce texte ait été abandonné par son auteur au profit d'autres projets. Il n'en parle qu'une seule fois à son éditeur Robert Denoël. Puis plus rien…
Guerre raconte l'errance d'un soldat français pendant la Grande Guerre, en octobre 1914. Ferdinand (déjà lui !) vient d'être frappé par un éclat d'obus qui lui a fracassé le bras et presque arraché l'oreille gauche (Céline sera sourd d'une oreille et souffrira d'affreux acouphènes toute sa vie). Miraculeusement sauvé du champ de bataille, il sera recueilli dans une sorte de lazaret où une infirmière joyeusement délurée prendra soin de lui à sa manière…
Dès la première page, à chaque ligne, on retrouve Céline. Son souffle. Son style, Sa musique incomparable, faite d'argot, de violence, de crudité et de haine. Car Ferdinand n'aime pas grand-monde. Déjà, après la grande boucherie de 14-18, un dégoût viscéral de l'humanité. Céline transpire à chaque page. mais on se dit que s'il avait retravaillé le texte, s'il l'avait condensé, peaufiné, Guerre serait encore plus fort. Et pourrait égaler ce chef-d'œuvre que constitue Mort à crédit (1936). Mais Guerre est resté au fond d'un tiroir…
Donc un grand texte, certes, qui a l'éclat d'un diamant brut. Mais un roman qui n'égale pas les plus grands de Céline (je ne parle pas, ici, des abominables pamphlets qui méritent un traitement à part). Peut-être mon jugement sera-t-il démenti à la rentrée par la publication de Londres, puis de La Légende du Roi Krogold, les deux autres volets de cette nouvelle trilogie ?
* Louis-Ferdinand Céline, Guerre, roman, Gallimard, 2022.
03:43 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Quelle ´ērange question! Bien sûr qu'il faut lire Céline. Ne serait-ce que pour faire enrager les bienpensants qui veulent nous dicter tous nos faits et gestes.
Écrit par : Edo | 12/05/2022
Quelle ´ērange question! Bien sûr qu'il faut lire Céline. Ne serait-ce que pour faire enrager les bienpensants qui veulent nous dicter tous nos faits et gestes.
Écrit par : Edo | 12/05/2022
Edo, faire enrager les bienpensants qui veulent nous dicter tous nos faits et gestes pour la raison qu'ils s'élève contre l'antisémitisme contenus dans l’œuvre de Céline dépasse l'entendement !
Écrit par : FRENKEL | 12/05/2022
Frenkel: Vous n'avez rien compris! Lire Céline ne veut pas dire être d'accord avec tout ce qu'il écrit. Oui, il faut lire Céline, car ce n'est jamais la censure qui a fait avancer les choses, bien au contraire. Il ne faut pas laisser cette police de la pensée prendre davantage de place dans nos vies et nous dicter ce que l'on a le droit de lire ou pas. On commence par censurer Céline, puis Hergé, et ensuite tous ceux qui ne pensent pas comme la doxa et on finit comme dans le roman 1984, dont on est d'ailleurs plus très loin. Je tiens aussi à vous rappeler que les bienpensants dont je parle et que vous défendez sont toujours les premiers à condamner Israel.
Écrit par : Edo | 17/05/2022
Pseudo Edo: étant donné que -3- ouvrages de Céline tombent sous le coup du Code Pénal Suisse art. 261bis, acceptés en votation par le peuple suisse, la censure est applicable. Bien qu'édité par Gallimard en France, j'estime donc, et c'est ma liberté d'expression, qu'il ne faut pas lire certains ouvrages de Céline vecteur de haine contre les juifs.
Écrit par : FRENKEL | 17/05/2022