Des lubies et des pronoms sujets (05/02/2022)

Par Frédéric Wandelère

      Il faudrait peut-être séparer les pronoms sujets nouveaux-nés «iel, ielle, iels, ielles», de l’écriture dite inclusive, puisque l’inclusion, qui ne concerne pas le neutre grammatical, se contente de fusionner le masculin avec le féminin au moyen du point dit médian. Il faudrait… néanmoins, vu l’incertitude liée à un genre dit «autre», peut-être neutre, mais ce n’est pas absolument sûr, l’écriture inclusive pourrait apporter ses lumières et secours dans les zones et situations obscures où ces pronoms devraient prochainement gigoter, s’ils survivent à leur naissance. Ainsi, il – faut-il dire iel? – paraîtrait raisonnable d’écrire et d’orthographier: «iel est venu.e», ou «ielle est venu.e», l’accord inclusif du participe passé joignant le féminin au masculin. «Iel» apparaissant comme un neutre de type masculin n’excluant pas le féminin, et «ielle» comme un neutre de type féminin n’excluant pas le masculin, l’un et l’autre pourraient convenir à un genre «autre». La neutralité, ici, commande une souplesse pacifiante et le «vivre ensemble» de trois genres, une indistinction de tolérance, accueillante à toutes les formes du neutre, du simili-neutre, du pseudo-neutre et du non-neutre, «trans», «cis» ou autre.

      Il semble en outre que ces «iel, ielle, iels, ielles» soient issus d’une copulation inclusive, «il» se combinant avec «elle» pour donner un premier embryon inclusif: «i.elle», lequel s’est divisé en quatre cellules: «iel, ielle, iels et ielles». La division cellulaire s’est opérée par l’effacement du point médian et la réintégration des genres du français génétique, masculin et féminin. Les marques du pluriel, de leur côté, n’ont jamais été éliminées par l’inclusivisme.

      Il m’est difficile de trouver quelque lumière sur l’affaire de ces «iel.le.s» car, malgré tous les journaux, toutes les revues, tous les livres, toutes sortes de publications régulièrement parcourus et consultés, je n’ai jamais vu employée l’une ou l’autre des quatre formes de ce pronom sujet. En revanche il en est amplement question soit idéologiquement soit humoristiquement. Les blagues se sont, en effet, multipliées: «Iel mon mari!», «Iel m’est tombé sur la tête», «Iel fait chaud» voire «Iel.le fait chaud.e», impliquant, dans ce dernier cas, les secours exprès de l’inclusivité. Aussi me suis-je demandé où Le Petit Robert était allé chercher, sinon trouver, ses exemples. Serait-ce dans ces blagues?

      Si le Robert se permet d’adopter par idéologie, aujourd’hui, des «iel.le.s» non attestés dans l’usage, du temps d’Alain Rey, il pouvait se montrer buté, se crisper sur des emplois répandus, innombrables, qu’il refusait catégoriquement d’enregistrer comme français de plein droit, pour des raisons de purisme linguistique et poétique ! Exemple : l’emploi du mot «pied» au sens de syllabe en poésie. J’ai pourtant relevé cet emploi dans les textes d’illustres poètes, Baudelaire, Mallarmé, Verlaine, Claudel, Aragon, Ponge, Queneau, Bonnefoy, Réda, et chez les grands prosateurs : Proust, Larbaud, Green, Gide, Caillois, Mauriac, Paulhan, Roudaut, Michon… À suivre et croire le Robert, ces écrivains feraient «abusivement» usage du mot «pied»! «Abusivement»! Ces Maîtres, si distingués, si estimables qu’ils soient à nos yeux, abuseraient, selon le Robert, de la langue française et emploieraient les mots de leur spécialité à tort et à travers! Un peu de décence, à défaut de modestie, ne gênerait pas!

      Il arrive donc au Robert de dérailler. Mais ses idiosyncrasies, ses lubies, ses fantaisies de parti pris restent statistiquement insignifiantes: quelques bévues à peine pour soixante mille entrées! Ces menues aventures extra-conjugales, certes peu discrètes, ne menacent pas le mariage pour le reste heureux du Robert avec sa Langue française! Mais elles font tache et ne s’oublient pas!

 

 

 

 

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