Les Carnets de CoraH (Épisode 69) (09/12/2018)
Épisode 69 : Marc JURT en rêvant : Passion captive
Dans le carré blanc, une passion captive. S’agit-il d’une scène de torture, d’un sacrifice ou d’une offrande ? Le cancer est une torture, le désir sexuel un sacrifice et le corps une offrande : les trois jouets de la destinée qui ne dépendent pas de nous. Alors il nous reste l’esprit : croquer, esquisser, calquer, graver, tracer, mêler le sucre à la gouache, ajouter un peu de douceur, changer l’inertie des choses. Le geste se veut doux envers soi, il sera peut-être salvateur comme le grain de sable qui enraye le processus inéluctable, comme un espoir fou qui nique la mort.
L’être non censuré, qui figure dans l’incruste, est emballé dans un linceul et ficelé de toutes parts — sans doute déshumanisé. Il gît en équilibre sur le flanc obscur d’un mont sans croix ni arbre. Cette même forme arrondie comme un mamelon, gravée 8 ans plus tôt dans Fiançailles, irradiait d’une lumière étincelante ; à son point culminant dansait le couple de sapins d’une minuscule forêt. Les points de contact sont devenus les lieux du martyre, ils annoncent une mort imminente. L’ombre se propage, et gagne peu à peu les versants des deux mondes. Le corps n’est plus qu’une enveloppe poste restante.
Sur la grande plaque, le corps est radiographié. Le regard pénètre la matière pour obtenir un cliché révélant certain contraste dû à la densité de la matière, quelques courbes fantomatiques. On y voit un étranglement d’organes, un manque d’inspiration, une suffocation peut-être, des os cassés épars formant une paire de colonne vertébrale, l’une féminine, l’autre s’appuyant sur un tuteur, un bambou, son double greffé. Autour du sac d’os, une masse opaque avec des taches indiscernables, comme des feuilles séchées enroulées.
C’est ainsi que la passion de l’artiste s’est révélée dans la maladie et dans son corps souffrant le martyr. Elle nous touche de manière singulière, chacun y voyant les traces de sa propre passion.
Au début des années 90, Marc JURT luttait pour la deuxième fois contre le cancer. Après des séances de chimio, il connut une période de rémission et d’intense créativité.
Marc JURT.Passion captive, 1990. Aquatinte au sucre et eau-forte en blanc et noir sur deux plaques 14,8 x 20 et 43,5 x 39,5 cm. Catalogue raisonnéno205.
Note de Marc JURT sur une série d’estampes dont Passion captive: « Gravures s’appuyant sur le geste, la trace du pinceau et leur mise en rapport avec des éléments travaillés au trait. Juxtaposition de plaques, couleurs alliées aux divers papiers appliqués. Dialogues, rencontres ». Catalogue raisonné, p. 51.
Marc JURT. Fiançailles, 1982. Pointe-sèche et aquatinte en noir et bleu ; 39,7 x 29, 5 cm. Catalogue raisonné, no120.
NOTE de Marc JURT à propos de Fiançailles: « Vie et liberté du trait gravé, réalisé dans l’atelier de Genève ». Catalogue raisonné, p. 51.
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