Les Carnets de CoraH (Épisode 37) (10/06/2018)
Épisode 37 : Méditations sur la nature des bêtes
Méditation IV : Un déclic poussé à un raisonnement peut changer une vie. [1]
Quel regard porte l’être humain sur la bête ? S’agit-il d’une altérité radicale qui marque le seuil entre le propre de l’homme et le royaume silencieux des bêtes ? Ou s’agit-il d’une ressemblance lointaine et caverneuse pleine d’une présence vibrante au monde par sa vivacité ou sa forme ? Certains disent que le primate est notre cousin car il est à notre image. Pourtant, cette relation qui humanise l’animal n’est-elle pas en train de le dénaturer ? Le singe, chimpanzé ou bonobo qui aurait adopté au cours de sa très lente évolution un mode de vie et d’expression profondément humain, serait-il capable de transcender sa nature et devenir un être d’histoire et de savoir à l’image de l’homo sapiens ? Quel énigmatique déclic ou enchaînement hasardeux aurait déclenché une telle sortie de route ? Il est beaucoup plus certain que Sid et Nancy, le couple de pyranhas élevés en aquarium dans mon ancienne vie, agissent en prédateurs innocents et que l’âne de la montagne n’apprenne jamais à voler.
Méditation V : Il n’y a pas de muets ni d’aveugles. Il y a des parlants et des voyants sur chaque rive [2].
Je ne suis pas anthropomane, soit une spéciste « folle du propre de l’homme » [3]. Certes la raison, l’historicité, l’innovation et le langage distinguent l’espèce sapiens du non sapiens. Mais le monde animal m’intrigue et m’émeut justement parce qu’il est à la fois proche de ma nature et autre. Cette altérité partielle et silencieuse me résiste d’autant plus qu’elle m’invite à l’échange mystérieux entre nos espèces. Le silence des bêtes est parlant comme leur regard est voyant. Les deux attestent de ma présence ici et maintenant. Bien que je reste sur le seuil de leur langage et de leur regard, je capte une forme d’activité vive et insondable. Leur monde intérieur (un possible reflet d'une captivité archaïque) est peut-être infranchissable. Est-ce la pointe de l’iceberg ? Sous l’eau, une vivacité qui me traverse et m’éveille à une forme de séduction.
Méditation VI : Les chats gouvernent le monde. Ils nous envoient des ondes pour construire des maisons avec des radiateurs pour s’installer dessus [4].
Je cohabite depuis 19 ans avec Isis, la souveraine tigresse des lieux. Elle se couche sur le clavier, dérègle mystérieusement l’ordinateur, brouille les chiffres et les lettres, miaule même quand elle n’a plus faim. Elle cherche aveuglément mon regard et quand le contact s’établit, elle crie sans relâche téléguidant mes pas et mes gestes vers l’armoire à pâtée. Je finis toujours par céder. Qui d’Isis ou de moi, est la déesse de ce logis ?
IMAGES : Kim WANG. Monkey Art.
Gilles AILLAUD. Intérieur vert, 1964, collection particulière, Galerie de France. © Patrick Müller.
Déesse Bastet égyptienne de la musique à tête de chat.
[1]. Citation de Nicolas DELHASSE, philosophe.
[2]. Le vers est inspiré de William BLAKE : « Il n'y a pas de morts. Il y a des vivants sur les deux rives ».
[3]. Expression employée par Benoît GOETZ dans « Élisabeth de Fontenay, Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1999. », Le Portique [En ligne], 4 | 1999, mis en ligne le 11 mars 2005, consulté le 09 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/leportique/287.
[4]. Citation de Rémy Chauvin reprise par Boris CYRULNIK, éthologue, dans sa conférence sur l’Intelligence animale.
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