Venir grand sans virgules... (23/03/2018)
Karim Karkeni nous parle du livre de Myriam Wahli, Venir grand sans virgules... paru dans la collection
Alcantara, aux Editions de L'Aire. (A.B.)
« Les mots commencent à se suspendre au-dessus de la table et quand ils arrivent dans mes oreilles ce sont des morceaux de coton c’est mou ça n’a plus de contour. »
Celle qui a écrit ceci nous apparaît en noir et blanc, sur un des rabats de la couverture de son livre ; elle a un regard qui ressemble à un lac en hiver et sa main droite cherche un peu de douceur sur son épaule gauche. On devine sur ses bras qu’elle côtoie quelques hommes des cavernes.
Il nous est dit qu’elle « serre les arbres dans ses bras », et c’est précisément comme ça que commence son livre, avec « la petite » tentant de ne faire qu’un avec le noyer, tout près de chez elle, dont on comprend vite qu’il la sauve souvent.
« Dans mes yeux fermés j’ai pu repenser au bain de soleil avec l’arbre et c’était comme une soupe que l’on mange le jour après l’avoir cuite ça a plus de goût. »
On peut tracer un parallèle avec le Cousin ajarien de « Gros Câlin », et c’est exactement de cela qu’il est question, d’une voix qui fait sauter les coffres fragiles de sa langue pour hurler à sa manière les hypocrisies et les mensonges de ceux qui font « pseudo pseudo », partout autour.
Heureusement, il y a le Rossé, ce vieux chêne qui a la bonne idée d’être aussi un homme à l’écorce bienveillante pour qui ne se tartine pas des rengaines abrutissantes et des promesses d’éternité.
« Le Rossé il dit souvent que les gens feraient mieux de balayer devant chez eux et de se sortir le cul des ronces avant d’aller renifler ce qui joue pas chez les autres. »
Avec des paragraphes lancés comme les flèches de Guillaume Tell, mais des flèches ratant la pomme et se fichant au cœur du fils, Myriam Wahli dépiaute la pelote du propret et du bien comme il faut qui saucissonne souvent nos cervelets.
Quand la corde de son arc cède, elle a encore autour du cou une hache pour s’attaquer à la commode et aux tiroirs où chacun doit rester bien à sa place, alors qu’ils feraient tellement mieux de vivre sans négliger leur peau, leur souffle et leurs rêves, dehors, avec les « choses qui sont déjà là et que tu peux sentir entendre goûter toucher. »
En moins de cent pages, Myriam Wahli réussit à montrer combien l’écriture qui compte n’est pas inclusive, sponsorisée et « mentorisée », mais bien incisive, sans concessions et organique.
En vingt-et-un chapitre bref, elle s’impose, loin des instituts, des collectifs, des résidences, des bourses et autres perfusions détox comme une plume de chouette effraie greffée sur un âne gris, histoire de lui apprendre à nager.
Alors, caressant le bœuf loin de Marie, une écrivain est née. Olé.
« Parfois il suffit d’être l’un à côté de l’autre en silence ça me fait le même effet que de m’asseoir au pied du noyer en rentrant de l’école on accepte de ne pas ouvrir la bouche et le vide n’existe plus.
On est là. »
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