Les Carnets de Cora (Épisode 5) (29/10/2017)
Épisode 5 : où il est question de censure, de décrypter un poème et de l’île des supplices
Censure ?
Dans le 4e épisode des Carnets, j’ai partagé un poème pour le sauver de l’oubli. Ai-je eu raison de le rendre public sur le mur de Blogres ? Un malin génie ne l’a
pas trouvé à son goût et l’a censuré quelques heures pour son contenu à « caractère pornographique ». C’est une plaisanterie, sans doute !
J’avais intitulé ce poème obscur, « Le viol du corbeau », car je confiais l’histoire d’un croque-mort qui m’avait ramassée sur la route de Millau dans le sud de la France et m’avait déflorée dans son corbillard verrouillé. Sa rapacité en même temps que la possibilité de mourir loin de chez moi, m’avaient paralysée. J’avais alors jugé utile de rendre cette confession publique dans la masse des témoignages de femmes revenues de loin. Ce poème ne me correspond plus aujourd’hui. J’ai survécu alors qu’il s’est figé dans un souvenir lointain. Loin de me consoler, il sert à présent de tombeau à la folie d’un homme, telle une crypte que l’on aménage dans son inconscient pour finalement l’accomplir ou la condamner.
Décrypter un poème
J’ai besoin aujourd’hui de faire sauter les verroux de ce tombeau glacé et de construire, par la magie des mots (comme mon amie Georgette), un lieu totalement libre où je trouverais une rémission de peine. Pourrais-je y parvenir par la portée des mots uniquement, jetant mon dévolu sur ceux qui donnent existence et sauvent de la déraison ? Ce lieu n’est ni utopique, ni uchronique, il rêve d’engendrer un tremblement imperceptible à la lecture, une rotation peut-être ou une transmission.
L’île des supplices
Mon imaginaire tend vers un endroit isolé, dévoile une île inaccessible. Un coin
oublié de tous, sans réseau ni wifi. L’île pourrait ressembler à Saint-Kilda* par son
climat humide et ses pluies incessantes. Un lieu déserté par les hommes, car la vie y serait impossible. Aucun arbre en vue, ni aucune plante, seule une centaine de moutons paissent en autarcie dans quelques pacages verdoyants. C’est là, au cœur de l’égarement, que je mettrais mon agresseur. Ainsi que toutes les brutes, cogneurs et autres sadiques sexuels. Dans ce lieu qui prend forme peu à peu, malléable à volonté, je viendrai le visiter à loisir ou alors je n’y reviendrai plus. Mais je sais qu’il existera dans cet épisode de mes carnets et que dans ces pages au moins, mon agresseur sera préoccupé par la faim, le froid et l’humidité, qu’il ne portera que sa peau comme vêtement parfaitement étanche et qu’il devra piller les nids des oiseaux pour se nourrir. Il entendra en permanence au-dessus de sa tête le rire moqueur des macareux.
Malgré la tentation, je ne souhaite pas envoyer tous les criminels sur une île. Pour les punir, il y a des tribunaux et des peines plus ou moins lourdes prononcées par un système que l’on souhaite juste. Je ne connais pas le nom de mon agresseur, car je n’ai pas eu le courage de porter plainte ni de le traduire en justice. C’était peut-être un homme ordinaire, un bon père de famille. Peut-être est-il mort à présent ? Peut-être n’a-t-il jamais récidivé ? Pourrais-je me sauver sachant qu’il est transi de froid sur un rocher inhospitalier et que son foie est dévoré par une masse de folles de Bassan qui lui rappellent au quotidien ce qu’il leur a volé ?
- Je m'inspire ici de L’Adieu à Saint-Kilda d’Éric BULLIARD pour faire surgir l’île des supplices.
00:07 | Tags : georgia o'keeffe, eric bulliard, adieu à saint-kilda; toronto; carnets de corah | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Cora, cette histoire de censure m'amuse...et puis non elle ne m'amuse pas du tout...s'est-il cru dans un roman de G. Bataille ? A-t-il bien lu sous les mots la sombre réalité habillée en poème, pour mieux la donner à entendre?
Mais revenons aux moutons, sont-ils à l'abri demandez-vous ? (Faut-il vous répondre sur FB ou sur ce blog?) Oh non je ne les sens pas à l'abri des prédateurs, quel berger les défendra? Quid du berger s'il y en avait un....laissons juste les fous de Bassan dans cette île, eux savent....
Mais comment punir et éloigner du mal? Question à tout jamais irrésolue. Quelle punition serait à l'aune du mal subi, de la terreur et de la cruauté infligée?
Se sauver grâce à une punition? Cela dépend de ce que l'on veut sauver. Si c'est son âme mieux vaut expurger la chose par des moyens légaux voire psychologiques et une fois fait, laisser aller le mal loin de soi, faire confiance à la vie qui sait inventer des baumes efficients non pour faire disparaitre le mal, (on ne le peut pas), mais ne plus vivre sous sa coupe et s'en libérer. C'est un chemin à inventer avant que l'hiver de notre vie ne nous trouve figé à jamais dans la gelure des ressentiments et de la haine.
Voilà Cora toutes les réflexions qui m'ont assaillie à la lecture de votre dernier épisode. Retournerons-nous dans les jardins la prochaine fois? Non que je sois naïve à vouloir m'éloigner de toute évocation difficile...mais je me plais tant au jardin!
Bien à vous Cora
Frédérique Baud Bachten
Écrit par : Frédériqu Baud Bachten | 30/10/2017
Chère lectrice, quelle chance de vous avoir! Mon île a eu un écho et je vous en remercie. Punir avec les mots de la haine lointaine et de la vengeance n'a pas eu l'effet désiré et le mal côtoie ainsi l'innocence. Il manque ici Justice avec son bandeau, son glaive et sa balance qui agirait comme la protection d'un berger. Nous étions dans la nature à l'état brut.
Je vous promets , chère Frédérique, de quitter cette île maudite et de planter quelques jacinthes pour le printemps prochain!
Écrit par : Cora O'Keeffe | 03/11/2017