Xochitl Borel, « Les oies de l’île Rousseau » (12/05/2017)

Katch,ancien chroniqueur littéraire sur Radio Vostok, équilibriste saisonnier dont les livres sont une déformation passionnelle, a beaucoup aimé le dernier Xochitl Borel, Les oies de l’île Rousseau, et nous le dit.  (AB)

 

« Elle avait décidé de croire le fleuve, entièrement, aveuglément, croire qu’il avait raison, que le sens était là, par le seul fait de couler vers le large. »

On a tous, dans notre poitrine et dans nos mains, une petite barque de rêves, de tristesses et de pensées plus ou moins décousues ; une embarcation de fortune, faite de bric et de broc, qu’on garde le plus souvent à l’abri du regard des autres ; des fois qu’ils se permettent d’y prendre place et nous rappellent alors qu’on est tellement plus et tellement moins que ce que la vie fait de nous. Non mais.

Si on laisse filer notre canot de brindilles sur les eaux du nouveau roman de Xochitl Borel, « Les oies de l’île Rousseau », on sent les caresses de la lune, souvent. Et puis on sait qu’il y a la mer, là-bas, et que la distance qui nous en sépare a autant à voir avec notre imagination et notre regard qu’avec les kilomètres. On nous rappelle, à peine se laisse-t-on porter par les flots, que si autant de personnes y meurent, dans cette mer et dans d’autres, lacérés par les griffes de l’espoir déchu, ce n’est pas que de notre faute. Non, pas que.

Rien de sentencieux, dans cette lucidité brûlante, juste l’envie de dire que puisque « naître c’est déjà échouer sur la terre », comme le dit Eliott à Eva, qui accompagnait son ombre alors qu’il ne savait même pas qu’il en avait une, puisque « naître c’est déjà échouer sur la terre », alors tentons d’être des naufragés dessinant sur le sable, pour soi et pour d’autres, dans la limite de nos possibilités de coquillages à pattes.

Les personnages de Xochitl sautent par des fenêtres qui ne réussissent pas toujours à ouvrir sur l’ailleurs ; certains en meurent, d’autres rebondissent jusqu’à d’autres fenêtres où faire pousser quelque chose, de l’aneth peut-être. Tous, à un moment ou à un autre, qu’on le sache ou pas, auront été effleurés par l’odeur des fleurs dans le bal démasqué du printemps ; tous auront entendu le murmure de l’amour s’échapper ou s’accrocher.

On croise des noms de poètes qui ne sont pas anodins (Gelman, Alighieri, Eliott,…) dans ces pages qui, à la fin, leur sont dédiées à tous (et en particulier à Aragon, Ceronetti et Éluard) ; on côtoie des « grands » noms qui ne paraissent jamais tels, ces clins-d ’œil fredonnant tout simplement combien les pulsation de la poésie, leur propagation, cela rime surtout avec tendresse ; avec maladresse, parfois.

Parlant d’adresse, tout ceci se passe à Genève, entre la rue Borges et le précieux phare des Bains des Pâquis. Il y a des policiers défroqués, des prostituées restituées à leur complexité, un enfant qui ne veut pas parler parce qu’il lui manque une paume et des doigts où se sentir vivre ; il y a du poulet aux amandes et des vaches aguicheuses prêtes à aller festoyer dans des thés dansants.

« À présent, la poussière dans ces mains de veilles femmes.

Et la vie, tant qu’elle le pourrait. »


 Xochitl Borel, Les oies de l’île Rousseau, Editions de L'Aire

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