CEVA de bruit et de fureur (16/01/2015)

 

Par Pierre Béguin

 

Pouvez-vous imaginer partager vos nuits, pratiquement sans interruption et pendant des mois, avec une machine à roto percussion qui perce votre sous-sol et qui produit, dans votre chambre à coucher, un bruit de marteau piqueur pouvant émettre jusqu’à 60 décibels?  Pour vous aider à vous représenter ce qu’un tel désagrément signifie sur votre sommeil, cliquez sur l'image ci-dessous:



Voilà! Maintenant vous savez. Et bien c’est exactement ce que doivent endurer des habitants de la Chapelle sur Carouge depuis mars 2014, c’est-à-dire depuis que le CEVA a débuté au Bachet le percement du tunnel de Pinchat. Le bruit incriminé, 24 heures sur 24, se propage par les sous-sols, fait vibrer les maisonsqui entrent alors en résonnance, avant de ressortir jusqu’à 200 mètres du lieu d’émission. A raison d’une avancée d’un mètre par jour, faites le calcul!

 Mais voyons! Chez nous, en Suisse, il existe des lois, des règlements, allez-vous rétorquer? Bien sûr! Et même de très sérieuses directives sur les mesures de construction et d’exploitation destinées à limiter le bruit de chantier, selon l’article 6 de l’ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1987, émanant de l’Office Fédéral de l’Environnement (OFEV). Très clairement, il est précisé une «limitation de durée de 7 heures par jour ou moins pour les travaux de construction très bruyants (08h00 – 12h00 et 14h – 17h00)». L’autorisation délivrée Par l’Office Fédéral des transports au CEVA, le 8 mai 2008, imposait clairement l’application de cette directive. Sauf que les responsables du CEVA bafouent ostensiblement la directive, qu’ils s’asseyent allègrement sur les lois et les règlements en poursuivant les travaux les plus bruyants 24 heures sur 24. Avec, comme de bien entendu, le consentement des services de l’Etat en charge du dossier, dont on imagine qu’ils ont reçu des directives en ce sens. Et que dire des députés eux-mêmes, probablement briefés par le Conseil d’Etat, qui n’ont, comme de bien entendu, pas traité une pétition reçue en juin 2014!En voilà une démocratie qui fonctionne bien! Il paraît, selon tout ce beau monde qui le proclame la bouche en coeur, que la loi ne concerne pas les bruits solidiens, à savoir ceux émis dans le sous-sol, mais seulement les bruits de surface. Comme si, quand on mesure avec des sonomètres jusqu’à 60 décibels dans une chambre à coucher, ce n’était pas des bruits de surface! Poussons le raisonnement jusqu’à l’absurde: dans votre cave, vous pouvezdonc faire le bruit que vous voulez! Enfin… à condition bien sûr que toutes les autorités vous appuient. Dans ce cas, comme les responsables du CEVA, vous pourrez faire preuve d’une mauvaise foi tout simplement hallucinante. Quel autre mot peut-on utiliser lorsque des collaborateurs du CEVA viennent constater un bruit assourdissant chez certains habitants et qu’ils se permettent ensuite de nier toute implication du chantier dans les nuisances même qu’ils ont constatées? Quant aux CFF, principaux bénéficiaires du CEVA, ils ne s’en privent pas! Leur arrogance, leur mépris, est proprement sidérant.

Le conseiller d’Etat Luc Barthassat, chef du département incriminé, est lui aussi venu constater les nuisances sur place. Il a eu ces mots historiques: «Je ne peux rien faire». De deux choses l’une: soit il ne peut vraiment rien faire et alors on se demande bien à quoi il sert s’il ne peut intervenir contre une transgression aussi évidente de la loi, soit il ne «veut» rien faire et il s’assied sur les lois même  qu’il est censé faire respecter. Dans les deux cas, il se montre incapable de s’élever à la hauteur de la fonction pour laquelle il a été démocratiquement élu. Que des gens doivent quitter leur domicile en pleine nuit avec enfants et brosses à dent pour un hôtel salvateur, que des enfants ne dorment pas avec les possibles répercussions sur leur santé et leurs résultats scolaires, que des lois fédérales soient bafouées avec le consentement de son département, le conseiller d’Etat Luc Barthassat, qui par ailleurs dort très bien du sommeil du juste dans un coin du canton épargné par les méfaits du CEVA, le conseiller d’Etat Luc Barthassat donc s’en moque allègrement! Eh oui! Il y a à la Chapelle une nuisance plus assourdissante encore que celle produite par le CEVA, c’est le bruyant silence de Monsieur Luc Barthassat!

Il est un autre silence assourdissant qui ne laisse pas de surprendre: celui de la presse. Si Léman bleu s’est déplacé pour consacrer un reportage à ce qu’il faut bien considérer comme un scandale couvert par les autorités cantonales elles-mêmes , les autres médias, La Tribune de Genève, Le Temps, la Télévision ou les radios, se taisent étrangement, faisant planer quelques soupçons quant à leur implication dans les problèmes régionaux, pour ne pas dire quant à leur autonomie. Au cas où ces instances médiatiques ne seraient pas au courant, puissent-elles trouver dans ces lignes les informations qu’elles devraient être les premières à diffuser…

Pour leur gouverne, une plainte a été déposée par les riverains – dont l’association, précisons-le, est favorable à la construction du CEVA – pour contraindre la direction du CEVA et les entreprises concernées par le chantier à respecter la loi et les directives auxquelles elles sont soumises, à savoir de s’abstenir de tous travaux de forage du tunnel dans le secteur concerné entre 19 heures et 7 heures le matin. Plus conciliants que la loi elle-même, les habitants de la Chapelle! Mais peut-être un peu naïfs… Selon le planning du CEVA, les forages devraient se terminer l’été prochain. Je reste convaincu que la plainte se perdra sous un dossier et qu’elle n’en ressortira pas de sitôt, en tout cas pas avant… disons septembre prochain. On fait le pari? Comptez sur moi pour vous tenir au courant!

A part ça, tout va très bien, citoyens, tout va très bien! Que ceux qui peuvent dormir continuent à dormir! Dans quelques années – mais sûrement pas en 2017 comme prévu, et malgré ce forage continu hors loi – avec un dépassement budgétaire important qui plombe déjà tous les autres investissements – mais sans une Gare pourtant nécessaire à Carouge Fontenette –  vous pourrez vous rendre à Annemasse en douze minutes. Enfin, pour les quelques usagers que cela intéresse…

Ah! Un dernier mot: si des responsables du CEVA ou des élus genevois veulent passer quelques nuits à la Chapelle sur Carouge, ils sont les bienvenues. Des habitants se feront un plaisir de leur laisser leur chambre à coucher. Et si, dans le même temps, ils pouvaient céder la leur, ce serait encore mieux. Qu’ils en soient remerciés d’avance!

P.S.  Ci-dessous un extrait de la brochure de l’Office Fédérale de la Santé Publique, prouvant clairement que le CEVA, avec le soutien du département, transgresse allègrement la loi:

«Le sommeil est perturbé à partir d'un niveau sonore nocturne de 40 à 50 décibels déjà. On se réveille plus souvent, ce qui entraîne de la somnolence ainsi qu'une baisse de l'attention et des performances le lendemain.

La loi sur la protection de l'environnement et l'ordonnance sur la protection contre le bruit (OPB) ont pour but de protéger la population contre le bruit nuisible ou incommodant. A cet effet, la Confédération a défini une méthode d'évaluation et des valeurs limites d'exposition concrètes pour les principaux types de bruit. Celles-ci ont été fixées de manière à ce que les immissions restantes ne dérangent pas de façon notable le bien-être des personnes touchées.

Les valeurs limites d'exposition sont arrêtées dans l'ordonnance sur la protection contre le bruit (OPB) et s'appuient sur la loi sur la protection de l'environnement:

Les valeurs de planification sont appliquées pour la réalisation de nouvelles installations bruyantes et pour la délimitation et l'équipement de zones à bâtir destinées à des bâtiments à usage sensible au bruit (logements).

Les valeurs limites d'immission définissent les seuils à partir desquels le bruit dérange considérablement le bien-être de la population. Elles s'appliquent aux installations bruyantes existantes et aux permis de construire pour des bâtiments à usage sensible au bruit (logements).

 

Degré de sensibilité
(DS) 

Valeur de planification (VP)
en dB(A)

Valeur limite d'immission (VLI)
en dB(A)  

Valeur d'alarme (VA)
en dB(A)   

  

Jour

Nuit

Jour

Nuit

Jour

Nuit

Détente 

50

40 

55 

45 

65 

 60

II

Habitation

55 

45 

60 

50 

70 

65 

III 

Habitation/artisanat

60 

50 

65 

55 

70 

65 

IV 

Industrie

65 

55 

70 

60 

75 

70 

 

 

 

 

 

 

 

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