America Lonely (08/01/2014)

 

 

Par Pascal Rebetez


 

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Thomas Bouvier est un des fils de Nicolas Bouvier. Il est, comme son père, écrivain et photographe. Se faire un prénom dans cette destinée tient de la gageure. Pour ses cinquante ans, le fiston embarque seul pour une traversée des Etats-Unis, d’est en ouest. En voiture de location, arrêts dans des motels, dans des hôtels de luxe, des auberges de troisième catégorie, le faire n’est pas ce qui compte : il n’y a pas d’aventures saisissantes, pas de dangers à tous les coins de rue, de crotales écrasés, de navajos ivres et violents, pas de putains sautées à Las Vegas ou de longue marche dans le désert de sel. Non, l’aventure ici tient dans une décision, celle de faire le ménage dans sa tête en trente jours, en voiture surtout, on the road only, aller vers l’avant en « anonyme traversant l’espace, éméché par l’élixir du présent ».

Aller pour s’affranchir de sa propre image, qui pourrait être, on s’en doute, celle du fils de. Et les lieux sont bien choisis, l’Amérique est immense et ses ciels photographiés à l’aube ou au crépuscule traversent le voyageur comme un eau lustrale : il sait et comprend qu’il devient autre, « se nourrissant du seul fait d’être au monde », rejoignant ainsi « le voyage qui nous fa02399801.jpgit » de son père à qui il consacre quelques lignes d’un pur régal, n’omettant pas au passage de stigmatiser les faiseurs de mythes autour de la figure paternelle, ceux qui en ont fait un gourou, tous ces commentaires, ces livres, ces génuflexions, alors qu’en relation intime, le fils se souvient surtout de l’homme blessé, fragile et seul. Et il le retrouve ainsi, fumant une cigarette, dans un petit café de l’Oklahoma, le fils retrouve son père défunt dans leur présence au monde commune. Ciao, c’est fait, le fils peut repartir et son prénom désormais est son nom.

Adieu les « lourdeurs natales, le moi grotesque, les rêves surannés », l’auteur en se frottant au Nouveau Monde a fait peau neuve, « les atomes aérés, allégés, purifiés, affranchis de tout un arsenal existentiel… »

Oui, larguer les amarres – que ce soit aux USA ou juste derrière chez soi –, ce carême de soi-même, il faut oser le faire. Pour être à nouveau. Pour repartir.

America Lonely, Thomas Bouvier, Slatkine 2013

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