Vladimir Nabokov, Lolita (03/01/2014)

 

Par Alain Bagnoud

Dans les années cinquante en Amérique, Humbert Humbert, un quadragénaire européen raffiné, épouse la mère d'une nymphette de douze ans, qu'il désire et pelote. La mère, découvre tout et se fait écraser opportunément par un camion. Humbert s'empare alors de la fillette, qui devient sa maîtresse. Il la promène dans les Etats-Unis, l'installe dans une petite ville. Mais elle s'enfuit avec un dramaturge, quadragénaire pervers, qu'Humbert tue finalement.

En lisant Lolita, le génial roman de Nabokov, on se demande comment il peut encore être normalement vendu dans les librairies, tant il transgresse les normes de notre société, qui condamne la pédophilie et la considère comme le crime par excellence, en même temps qu'elle sexualise les petites filles et fait de l'adolescente la norme de la mode, de la beauté et du désir.

Éléments du scandale: le livre se présente comme un mémoire écrit par Humbert emprisonné, pour servir à sa défense. Du coup, à cause de cette option narrative, le lecteur ne peut s'empêcher de s'identifier à lui, par moments. Par moments seulement.

Un des moteurs de la lecture est en effet le jeu dans lequel on est pris, de la fascination à la répulsion. Humbert se révèle monstrueux: égoïste absolu, emprisonnant sa pupille dans un enfer de possessivité, de jalousie et d'inhumanité, la tenant par la peur. Il est conscient qu'il gâche son enfance et l'empêche de vivre comme une fille de son âge, qu'elle n'éprouve aucun plaisir à ses petits jeux, mais qu'importe: son bon plaisir est la règle.

En même temps, Humbert le cynique est fou d'amour, ivre de poésie, et ses célébrations de sa nymphette sont somptueuses: du grand art nabokovien. Le pervers est touchant aussi, dans son désespoir de n'être pas aimé, de ne jamais pouvoir l'être.

Un autre élément dérangeant: impossible de ne pas se souvenir que, en fait, c'est Lolita qui introduit son beau-père dans le sexe. Quand il la récupère, son plan consiste à la droguer et la frôler discrètement pendant la nuit, ménageant son innocence. Mais elle, douze ans, de retour d'un camp de vacances où elle a découvert bien des choses avec un garçon et une fille de son âge, en fait son amant avec une simplicité qui éberlue Humbert lui-même. Et plus tard, c'est elle qui séduit le dramaturge Clare Quilty, après avoir été avertie par une amie qu'il aime les petites filles.

Voilà peut-être surtout ce qui choque, actuellement : cette affirmation qu'il existe des nymphettes, terme inventé par Nabokov pour décrire des pré-adolescentes sexuées et aguicheuses.

Le scandale, déjà à l'époque, entre la fin des années cinquante et le début des années soixante, a fait de ce livre un énorme succès, Ceci dit, rares ont sans doute été les lecteurs à le finir.

On peut imaginer la déception du lecteur émoustillé, s'installant dans son lit pour une soirée voluptueuse et ouvrant son exemplaire de Lolita. Il tombera en effet sur une pure œuvre littéraire, raffinée, subtile, référentielle, teintée d'un humour aristocratique, dans laquelle on chercherait en vain des scènes cochonnes. L'intrigue, même animée par un vague suspense policier, n'incite pas à la lecture haletante.

Ce qui tient le livre, en réalité, ce qui en fait un chef-d’œuvre, c'est le style de Nabokov, qui transforme la succession des scènes une suite de morceaux d'anthologie.

 

Vladimir Nabokov, Lolita, Folio

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