Instinct primaire (30/10/2013)

Par Anne Bottan-Zuber


Ecrire une lettre pour pouvoir tourner la page, pour dire à quelqu’un ce qu’on n’a jamais eu l’occasion de dire afin de mettre définitivement fin à une histoire qui nous a fait souffrir, c’est ce que l’on conseille parfois dans les stages de développement personnel. Mais qu’une maison d’éditions le propose à des écrivains est plus original. La démarche m’a intriguée et j’ai acheté le petit livre de Pia Petersen intitulé « Instinct primaire » et publié chez NiL.

Une femme – l’auteur lui-même ? – écrit à un homme qu’elle a aimé, qu’elle a accepté d’épouser à contre-cœur, et qu’elle a fui au dernier moment, alors qu’ils étaient déjà dans l’église. Cet homme, auquel elle n’a plus pu reparler depuis, lui manque. Cette lettre sera cette conversation qu’elle n’a pas pu avoir avec celui qu’elle a quitté. Elle lui permettra d’une certaine manière de le rendre présent à nouveau. Une conversation qui s’avèrera difficile car la femme se rend assez vite compte qu’elle doit faire et les questions, et les réponses.

 Pia Petersen s’explique et explique. Pourquoi elle a accepté de perdre le statut de maîtresse qui lui convenait tout à fait et a décidé d’épouser un homme. Et pourquoi, finalement, elle n’a pas pu.

On souffre avec elle lorsqu’elle nous fait part de la totale incompréhension de ses copines qui sont persuadées qu’on ne peut pas s’épanouir autrement qu’en ayant des enfants. Qui ont de la peine à accepter que cela soit un choix, que ce n’est pas dû à une quelconque stérilité, et à admettre que l’auteur est sûre que le jour où il sera trop tard pour en avoir, elle ne sera pas malheureuse. On compatit lorsqu’elle dit : « Je suis prisonnière de leurs regards et de leur perception de la vie ».

 On l’approuve lorsqu’elle clame : j’ai le droit de vivre une vie pleine sans avoir ni mari, ni enfants. Je ne suis pas une femme qui écrit, je suis un écrivain, et cette vie me comble.

 Mais on ne la suit plus lorsqu’elle ajoute que les femmes « pourraient inventer de nouveaux concepts mais qu’elles ne le font pas. » Quid alors de Hannah Arendt, de Elisabeth Anscombe et de Simone Weil ? Les femmes sont certes moins nombreuses à « inventer des concepts » que les hommes mais cela ne fait pas bien longtemps que les hommes ont daigné les accepter sur les bancs de l’école et de l’université.

Les femmes, déplore également l’auteur, pensent trop souvent avant tout avec leurs ventres. Alors qu’une femme est « un être capable de se créer en dehors et au-delà de son animalité et qui crée ce qui n’est pas naturel. » Toutes proportions gardées, on croirait entendre Simone de Beauvoir, avec son discours sur l’immanence et la transcendance. Oui, les femmes pensent parfois avec leur ventre, mais les hommes font de même avec le leur. Les hommes, eux aussi, se débrouillent comme ils peuvent avec la glu du quotidien. Tous et toutes, nous courons après le train, nous attendons dans les bouchons, nous payons des factures. Les femmes s’occupent généralement des enfants, alors que les hommes le font peu. Mais ils sont plus nombreux que les femmes sur les chantiers, dans les mines, et hélas ! sur les champs de bataille ...

L’immanence n’est pas une spécificité féminine.

Ce qui manque à la femme, dit encore l’auteur, c’est d’arriver à se définir elle-même. C’est vrai. Les femmes se sont longtemps définies comme épouse de … et mère de … et cette définition est dépassée. Cependant, il me semble important d’ajouter que pour arriver à articuler une ou plutôt des définitions de la femme, il faut qu’elles puissent s’identifier concrètement à d’autres femmes, connues ou pas, dont la vie a été ou est « pleine ». De ces modèles, il y en a foison, ils sont à leur disposition. Il suffit de regarder. Les définitions suivront.

C’est la même chose pour les hommes. Leurs modèles sont eux aussi dépassés et les définitions qu’ils se donnent d’eux-mêmes sont également à reconstuire.

Les modèles changent, les fronts bougent, les anciennes définitions ne conviennent pas, tout est à réinventer.

On le voit, cette lettre de Pia Pertersen prend par moment des allures de manifeste féministe. Je ne m’y attendais pas, mais ce n’est pas pour me déplaire.

C’est la magie d’un livre, d’une rencontre. On croit savoir ce que l’on va trouver, mais souvent, on se trompe.

 

 Pia Petersen, Instinct primaire, NiL

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