chacals et arabes (12/03/2013)

 

antonin moeri

 

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Le narrateur vient du Grand Nord. Il campe dans une oasis. Il se jette dans l’herbe, veut dormir. Une meute de chacals l’entoure tout à coup. L’une des bêtes vient lui dire que sa mère et sa grand-mère l’attendaient déjà, l’homme du Grand Nord et que l’intelligence se trouvait là-bas, dans le Grand Nord et pas ici, parmi les Arabes. Qu’eux, les chacals, n’avaient jamais craint les Arabes mais qu’ils ne pouvaient supporter leur présence. Ce qu’il leur faut, aux chacals, c’est «une vue lavée de leur présence jusqu’au fond de l’horizon». Les Arabes sont sales, puants, répugnants. «Leur barbe est une horreur, on crache de dégoût rien qu’à voir le pli de leurs yeux; et s’ils lèvent les bras, c’est l’enfer qui s’ouvre sous leurs aisselles». Le chacal demande au voyageur de leur trancher la gorge avec un petit ciseau couvert de rouille.

Alors intervient le guide arabe de la caravane en brandissant son fouet. La horde se disperse. L’Arabe dit au voyageur que ces chacals sont de vrais fous. Il a fait apporter un chameau mort. Les chacals s’en approchent «le ventre au ras du sol» et se jettent sur le cadavre. L’Arabe fait claquer son fouet, les chacals reculent. Le sang du chameau forme des mares fumantes. Les chacals reviennent. L’Arabe lève son fouet. Le voyageur arrête son bras. L’Arabe lui dit qu’il a raison, qu’il faut les laisser faire, que ce sont des bêtes admirables. «Et comme ils nous haïssent!»

Comment interpréter ce dialogue entre le narrateur et le chef des chacals qui veut nettoyer le territoire, qui veut que la gorge des Arabes soit tranchée? Selon un de mes amis, le chacal pourrait être un sioniste qui appelle l’Europe pour se débarrasser de la vermine et qui exige du narrateur une prise de position. Or ce narrateur, dit mon ami, ne peut se prononcer devant le déferlement de haine auquel il assiste malgré lui. L’aversion que les chacals ressentent devant les Arabes est tellement horrible que le voyageur voudrait fuir.

L’idée de nettoyage, de purification, de propreté, d’élimination dans un contexte ethnique (que des fous mettront en oeuvre au cours des XXe et  XXIe siècle) est une idée terrifiante, me disait l’ami qui a travaillé dans des régions du monde ravagées par ce type de conflits. Cet ami a tout de même avoué qu’on ne pouvait pas réduire «Chacals et Arabes» à cette unique interprétation. Comme je lui en fus reconnaissant!

 

 

Franz Kafka:  A la colonie disciplinaire et autres récits, BABEL, 1998

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