Parlez-vous le Bonnant? (22/02/2013)

Aujourd’hui, Blogres accueille deux invités, Jacques Gürtner, professeur de latin et d’allemand, et Claude Duverney, Docteur ès – et professeur de – philosophie, tous deux au Collège Calvin. Ils souhaitent répondre à un billet de Marc Bonnant, paru le 3 février dans Le Matin dimanche,  où l'avocat s'en prend notamment, "à clichés en veux-tu en voilà", aux étudiants et aux enseignants du Collège calvin.

Cher Maître,

gauchiste2.PNGAprès lecture malheureusement tardive, mais attentive de votre billet «Le vrai Prométhée...», paru dans Le Matin dimanche du 3 février 2013, nous nous devons, en tant que professeurs au Collège Calvin, de réagir pour vous exprimer notre étonnement et notre agacement.

En exorde, notre agacement. Nous savons que votre plume a trouvé ses thuriféraires au pays de l'Académie et que vous vous en gaussez à loisir. Nous aimerions toutefois vous dire combien ce genre d'exercice, qui se veut littéraire et savant, nous exaspère par son côté narcissique prononcé (le renierez-vous au demeurant, à l'exemple de Jean-Jacques?) Vous voulez donner l'impression (mais peut-être sommes-nous dans l'erreur), du haut de votre tour d'ivoire à l'aspect inexpugnable, d'y voir plus clair que nous, pauvre ramassis de gauchistes hébétés par des pédagogistes à la solde de Bourdieu et «décérébrant vos enfants». Si le précité «Narcisse» ʺdit explicitement l'homme ʺ, la critique acerbe que vous en faites peut aisément se retourner contre vous à la lecture du texte que vous avez commis, en digne représentant de la violence symbolique (cf. Bourdieu).

Votre «vu(e) ʺlourdementʺ de droite», élitaire et méprisant(e) (mais «tout ce qui est excessif est insignifiant»), dont vous portez haut le pavillon, apparaît singulièrement éloignée de l’audace intellectuelle que vous appelez de vos vœux en professant la subversion culturelle (ou alors, vous avons-nous mal lu? – bis repetita placent). Sous votre plume, être de droite semble une vertu divine et une maladie honteuse d'être de gauche; l’esprit rebelle y est une seconde nature de diffusion transgénérationnelle chez les sages libéraux, et la libre pensée une impossibilité génétique chez les enseignants condamnés fatalement à la contestation de gauche. De grâce, épargnez-nous de si fades fadaises. À propos de «gardiens de temples» (nous vous demandons pardon, de Temples), vous nous permettrez de penser que le vôtre est bien étriqué. Vous êtes un «pantophile» et «polymathe» averti certes, mais derrière votre prétention de nous livrer force connaissances «encyclopédiques» (est-ce d'ailleurs bien dans ce sens que Diderot l'entendait?) nous percevons davantage votre superbe que votre supériorité, et ne saurions ainsi, tels des «femmes aimantes et extasiées comme il sied quand l'homme de génie parle...», nous confire en pâmoison. Car, si la forme de votre épistole, recherchant avant tout l'effet de manche, a le seul mérite de provoquer en nous une ire (ou un rire) irrépressible, souffrez que nous avancions quelques remarques quant au fond.

Cela nous amène à notre second grief.

Que vous péchiez par orgueil, voilà rien que de très attendu, mais que vous soyez pris en flagrant délit de vacuité argumentatoire, voilà qui nous étonne et nous interpelle! Nous eussions souhaité trouver dans ce «billet» la preuve d’une rigueur que nous cherchons en vain dans les énormes clichés qui lui servent d’argutie.

Nous vous surprenons, en effet, à nous soumettre, pour prémisses fondant votre conclusion sur l'abyssale ignorance de notre jeunesse mal enseignée, un micro-trottoir dérisoire* en quantité et dépourvu de la plus élémentaire précaution dans l'échantillonnage... Vous vous autorisez (horribile dictu) d'une pure inférence conjecturale que, pour notre part, nous désapprenons à vos interlocuteurs «zombiesques». Au lieu de la rigueur que vos maîtres du Collège Calvin ont dû vous apprendre, vous déversez simplement votre fiel pseudo-savant et atrabilaire (tiens, n'est-ce pas précisément le reproche que vous adressez à votre cher Jean-Jacques?) en ne convoquant que poncifs et lieux communs attristants: votre laus temporis acti, votre vision gauche droite réductrice (cf. supra) sentent la naphtaline et n'ont que le regrettable effet de nous dispenser de penser, quand il faudrait soutenir la réflexion exigeante...

Et pour aller enfin ad hominem, nous avons cherché en vain dans votre texte «la pensée gambadante, aérée et allègre» de Diderot que vous chérissez tant et érigez en modèle inspirant. Nous n’avons vu que prose qui, placée devant son propre miroir, ne reflète qu'elle-même (nous revoilà à Narcisse dont vous savez fort bien la triste fin). Et de Prométhée mis en exergue par vos soins, à vous lire, n'apparaît que le frère en creux, une sorte de Palinméthée satisfait de lui-même. En bon rhétoricien que vous êtes, vous eussiez dû rédiger un texte riche de deux qualités, sources de plaisir et de progrès, hélas absentes, mais assurément chères à votre cœur: nos prédécesseurs ès culture eussent dit: docere et delectare.

Mais nous nous en voudrions d'abuser de votre temps forcément compté et nous réjouissons de pouvoir sous peu nous nourrir à nouveau de vos idéaux riches et constructifs.

Veuillez recevoir, cher Maître, l'expression de notre considération mitigée.

Jacques Gurtner, professeur de latin et d'allemand, Claude Duverney, professeur de philosophie

P. S. Toutefois, il sied aux hommes de bonne volonté d'écrire cum grano salis (Érasme ne nous eût pas démenti); n'allez ainsi pas croire que nous souhaitons vous jeter notre gant pour une joute sur des fronts étroits et opposés. Nous sommes à l'instar de votre personne (mais «c'était jadis ou naguère») le résultat du Collège de notre République... et de la démocratisation des études; nous nous tenons volontiers à votre disposition pour élargir le champ de la discussion, impossible à traiter dans le cadre d'une telle missive.

*Note de Blogres: Peut-on vraiment imaginer Marc Bonnant effectuer un micro-trottoir dans la rue du Vieux-Collège auprès d’étudiants «zombiesques»? Il est des mondes qui ne se rencontrent pas! Et les lois de la physique n’y sont pour rien...

 

 

 

 

 

 

 

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