Testament d'une race III (26/12/2012)

Par Stanislas Kowalski

3. La reconnaissance

 

Ce jour-là, je m’engageai pour la première fois dans le monde souterrain, si proche de nos maisons. Trois hommes nous accompagnèrent dans cette reconnaissance, mais seuls Borfier et Hiérodule semblaient sans inquiétude. Les autres s’étaient soumis à la nécessité et se sentaient comme écrasés par des puissances démoniques. Comment rendre compte de notre angoisse ? J’ai peur que tu me trouves ridicule. Ca allait bien au-delà du fait d’avoir des tonnes de roche au-dessus de la tête ou d’avancer dans le noir. C’était surtout le sentiment d’une transgression, d’un viol. Nous commettions un crime rituel et mon voisin me fit promettre, s’il lui arrivait quelque chose de sortir son corps afin qu’il échappât aux puissances infernales. Il me murmura sa demande à l’oreille, de peur que les autres n’entendissent. Je pris un air digne mais je n’en menais pas large.

Le chemin était si long que nous en perdîmes la notion du temps. Nous avions l’impression d’être enfermés pour toujours dans le ventre d’un monstre et je me demandais si tout cela était bien utile. Même si nous nous en sortions, nos ennemis oseraient-ils à leur tour pénétrer dans cette panse ?

Ce fut un choc. Rien ne m’avait préparé à cela. Les dessins qui ornaient les parois de la salle ne ressemblaient à rien de connu. Nous les contemplions, fascinés, en nous demandant quels êtres avaient bien pu les faire, quels nains, quels monstres infernaux, quelle race non humaine… Ils étaient très anciens et c’était étrange, çà et là la roche semblait s’être formée par dessus. Je posai mes doigts sur ces dessins, d’abord timidement, puis plus franchement pour en suivre les lignes et tenter de les lire, car ces tracés abscons évoquaient quelque chose, forcément. Ils devaient renfermer un message mystique ou une puissance magique. En posant mes mains sur la roche froide, dans mon excitation, j’eus l’impression de ressentir une palpitation, comme la mana d’une puissance vivante venue du fond de la terre. Etait-ce ma folie ? Etait-ce le silence ? Dans les scènes de chasse ou de bataille, combats contre des êtres inconnus, des monstres prenaient vie sous la main de l’interprète. Je ne me rendis pas compte immédiatement que je pensais à voix haute. Mes compagnons me tirèrent de mes méditations. Je leur faisais peur.

Un peu plus loin, une autre salle, parfaitement circulaire celle-là, nous retint un instant. Au milieu, une sculpture ovoïde était posée sur un piédestal. Elle était de grande taille et gravée à sa surface d’entrelacs mystérieux, dont nous ne pûmes deviner la signification. Borfier nous fit remarquer que cela ressemblait à un œuf et Aganakte prit peur en imaginant la bête qui pourrait en sortir. Borfier prit un caillou et frappa la sculpture. « Ce n’est que de la pierre. » Mais le bruit résonna longtemps dans la grotte et plus encore dans nos têtes impressionnées. Nous convînmes tacitement de ne plus jouer avec ça.

A mesure que nous avancions, il nous sembla que nous devenions d’autres hommes. Nous avions passé une épreuve et empli nos esprits de sujets de méditation, qui allaient nous nourrir longtemps. Nous sentions confusément que nous avions vécu un événement qui nous distinguait de nos compatriotes et que cela nous conférait une mission particulière. Ce que nous faisions là devait signifier profondément quelque chose. Nous ne jouions plus seulement le succès de nos armes mais bien plus que cela. Le piège que nous nous apprêtions à tendre aux Locustes n’était plus une simple ruse de guerre mais un acte religieux, un sacrifice dans tous les sens du terme. Nous allions faire acte sacré en offrant des victimes aux puissances chtoniennes.

 

 

 

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