Un tour du monde en 1158 jours (15/01/2012)

Par Pierre Béguin

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Le 7 janvier 2012, le navigateur breton Loïck Peyron s’adjugeait le trophée Jules Verne en bouclant un tour du monde sans escale en 45 jours. Son bateau mesure 40 mètres de long, 47 mètres à hauteur de mât, et embarque 13 membres d’équipage. Son arrivée à Brest, couverte par tous les médias, fut triomphale…

Le 27 juin 1898, à une heure du matin, un voilier de 11 mètres mouille l’ancre à Newport, Rhode Island, où un violent ouragan l’a forcé à se réfugier. A son bord, un marin de cinquante-quatre ans vient de réaliser, après un périple de quarante-six mille milles (plus de quatre-vingt cinq mille kilomètres), le premier tour du monde à la voile en solitaire. Le voyage aura duré trois ans, deux mois et deux jours…

Le bateau se nomme le Spray et son marin Joshua Slocum, un Canadien en quête de gloire né à Wilmot le 20 février 1844. Tous les deux s’attendent à entrer dans l’histoire maritime. Il n’en sera rien. A cause d’une guerre, l’exploit passe inaperçu en Amérique. Ni gloire, ni reconnaissance. Au mieux un accueil poli et un retour à la précarité pour cet aventurier écrivain, inlassable baroudeur des mers au caractère endurant et à la volonté bien forgée qui a fui, à peine adolescent, l’autorité et les sévices paternels.

Pour vivre, il renoue avec l’écriture et les conférences. Le récit de son périple, publié d’abord en feuilleton, sort en volume le 24 mars 1900 sous le titre Sailing Alone Around the World (traduit en français par Seul autour du monde sur un voilier de onze mètres). Il sera régulièrement réédité et deviendra un livre culte. Un siècle plus tard, il l’est toujours.

Le Spray est un dragueur d’huîtres à l’abandon depuis sept ans dans une prairie de Fairhaven. Un ami lui en fait don. Joshua Slocum est alors en creux de la vague. Il a perdu sa femme Victoria qu’il adorait, son bateau Liberdade qu’il aimait, son livre Voyage du Liberdade est un échec et ses poches sont vides. Pendant plus d’une année, il reconstruit la coque de l’épave avec un chêne de prairie qu’il abat lui-même. Il lui en coûtera 553,62 dollars pour remettre le Spray en état de navigation.

Le premier juillet 1895, il appareille de Boston avec 1,86 dollar, cap sur les Açores, puis Gibraltar. Il tombe malade, il délire. La présence de pirates le dissuade d’emprunter le canal de Suez. Il décide de faire demi-tour et de rejoindre l’Atlantique pour atteindre le Brésil. Une felouque arabe le prend en chasse. Slocum empoigne son fusil pour un combat aussi inégal que désespéré. Au moment où les pillards s’apprêtent à aborder cette proie solitaire et facile, un coup de vent salvateur démâte leur embarcation…

Canaries. Cap-Vert. Puis, fin octobre 1895, Pernambuco (aujourd’hui Recife). En serrant de trop près la côte, le voilier s’échoue sur un haut fond. Slocum, qui ne sait pas nager, manque se noyer.

Trois mois plus tard, il embouque le détroit de Magellan où il affronte pendant deux jours une violente tempête qui le laisse exsangue de toute force. Dans les redoutables canaux de Patagonie, il fait face aux williwaws – de furieux coups de vent de l’océan – et des sauvages renégats qu’il met en fuite en semant des clous de tapissier sur le pont du Spray.

Le 3 mars 1896, il débouche sur le Pacifique où un violent ouragan le fait dériver pendant plusieurs jours le long de la Terre de feu et du cap Horn. Le 26 avril, il atteint les Îles San Fernandez (l’île de Robinson Crusoe), avant de mettre le cap sur les Marquises, où Gauguin s’apprête à débarquer, puis sur les Îles Samoa où, très ému, il rencontre Fanny Stevenson qui lui offre des Instructions nautiques de son célèbre époux défunt.

Le 10 octobre, c’est l’Australie. Pour se renflouer financièrement, il donne plusieurs conférences à Sydney, Melbourne et en Tasmanie. Il reprend la mer, cap sur l’Afrique du Sud. Voici le détroit de Torres, l’océan Indien, Coco Keeling, Christmas, l’Île Maurice. Au large de Bonne-Espérance, comme il se doit, c’est une alternance d’enfer et de calmes plats. Voici encore l’Île Sainte Hélène, terre d’exil de Napoléon, puis l Île de l’Ascension. Au large des Antilles, il faut se méfier des courants et des vents. Il multiplie les conférences d’une île à l’autre, avant l’ultime tempête au large de Newport, après 1158 jours de navigation autour du monde.

Il lui reste 11 ans à vivre. Il en passe 10 à se morfondre à terre dans une plantation d’arbres fruitiers avant d’appareiller une dernière fois, en décembre 1909, sur le Spray vieillissant pour rejoindre les Îles Caïmans. Le voilier, dans un état lamentable après de longues années d’inactivité, ne résiste pas à la première tempête soufflant de l’Est. Il sombre avec son navigateur au large du cap Hatteras. On ne reverra ni l’un ni l’autre…

Il nous reste de cette vie fabuleuse son fameux livre Sailing Alone Around the World, qui continue d’illuminer les âmes aventureuses et d’éveiller – de Bernard Moitessier à Titouan Lamazou – de nombreuses vocations d’écrivains et de marins.

Joshua Slocum, Seul autour du monde sur un voilier de onze mètres, Ed. Vent d’Ouest, 1997

Seul autour du monde à la voile, Ed. La Decouvrance, 2010

 

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