l'amour toujours (08/11/2011)
par antonin moeri
Je ne suis pas fana de littérature de voyage. C’est plutôt un genre qui me fait bâiller. Le livre de Bimpage n’en relève pas puisqu’il s’agit d’une remémoration. Une remémoration pleine de sens, car le voyage dont il est question est lié à ce qu’il est convenu d’appeler un «amour de jeunesse». Cette époque palpitante de l’existence ouverte sur tous les possibles.
Le protagoniste se nomme Anteo, celle qu’il a aimée Nomia. Mais comment raconter ce voyage en Amérique du Sud «sans sombrer dans l’anecdote?» C’est le pari que fait l’auteur genevois en convoquant «ces instants fugaces qui valent une éternité» mais que seule une attention flottante peut ressaisir. De fait, Anteo tient une galerie d’art à Genève, galerie peu fréquentée. C’est le va-et-vient entre le fascinant voyage initiatique et la stase genevoise qui fait surgir les questions essentielles: désir, hasard, mort, résurrection, bonheur, sexe, rêve, douleur, jouissance, possession, beauté, folie, Dieu, espace, temps. C’est ce va-et-vient qui fait resurgir les moments d’extase quand, sur la lave d’une île par exemple, apparaissent après l’amour les tortues géantes, les otaries, les iguanes à carapace antédiluvienne.
Le quinca Anteo part au Cambodge avec Solange sa compagne. C’est là-bas que se poursuivra la remémoration. L’amour paroxystique étant voué à l’échec, le protagoniste se souvient qu’il s’est rendu seul sur l’île de Pâques, puis à Tahiti: bars, fêtes, pêche sous-marine, le joint qu’on se passe de main en main, le frisson sous les mains expertes d’une fille de seize ans qui fait si bien craquer les vertèbres. En Thaïlande, il s’abandonne dans une fumerie d’opium. Effet immédiat: il revoit Nomia, «fraîche et désirable (...), sein tendu qu’elle se laissait laper avec des petits cris de protestation».
Vous l’aurez compris, c’est l’Amour que Bimpage interroge, cet élan vers l’Autre ou l’Ailleurs que connaissent les humains avec plus ou moins d’intensité, cet élan qui en crucifie certains, qui en magnifie d’autres ou qui, canalisé dans quelques limites choisies, peut susciter une oeuvre. Un livre par exemple, comme celui qu’on vient de lire, subtilement construit, finement rédigé et où l’auteur sait donner libre cours à une phrase ample, parfois délirante, qui pourrait très bien se passer des références aux célèbres compositeurs, romanciers, poètes et metteurs en scène de cinéma.
Serge Bimpage: Le voyage inachevé, L’Aire, 2011
01:38 | Lien permanent | Commentaires (0)