Olivier Rolin, Un Chasseur de lions (02/10/2011)

Par Pierre Béguin

rolin80[1].jpgLe roman d’Olivier Rolin, Un Chasseur de lion, appartient à un pan important de la littérature moderne depuis trois décennies: la fiction biographique, ensemble qui repose sur un personnage historique avéré, en l’occurrence «le vaste et rubicond Pertuiset», tour à tour et à la fois chasseur de lions, trafiquant d’armes, aventurier et, accessoirement, ami du peintre Manet. Ces caractéristiques très composites du héros Pertuiset ouvrent les multiples dimensions et registres de ce récit baroque qui se mélangent et se font écho.

Un peu à la manière de ces romans «archéologiques» qui prennent l’Histoire comme une succession de strates (cf. Claude Simon, Le Jardin des Plantes, ou Jean Rouaud, Les Champs d’honneur), Un Chasseur de lions superpose les époques et les lieux. Au gré des chapitres, nous évoluons au XIXe ou à la fin du XXe, à Paris ou au Chili. Cette superposition spatiale et temporelle confère au texte sa dimension mélancolique par la confrontation des souvenirs (ce qui n’est plus, ce qui a disparu), une mélancolie à la fois propre à la trajectoire personnelle de l’auteur mais qui s’inscrit également dans un rapport à l’Histoire (ce que l’Histoire a raté, ce dont elle n’a pas accouché – par exemple la révolution romantique de 1848). Cette dimension mélancolique n’est qu’un aspect du livre d’Olivier Rolin. Je l’ai dit en introduction, il en comprend bien d’autres qui s’amalgament par des procédés de collage, un type de structure narrative que j’affectionne tout particulièrement.

Tout d’abord, le héros étant un aventurier, l’auteur y prend prétexte pour réinstaller son roman dans une forme abandonnée par la littérature moderne – le picaresque – mais pour la détourner aussitôt: le récit d’aventures s’inscrit d’emblée dans un jeu de parodie du genre à l’intérieur même de la fiction biographique, tant l’outrance de Pertuiset fait pencher le récit du côté du comique et du satirique.

Pertuiset est aussi l’ami de Manet. Cet élément biographique fournit prétexte à une réflexion sur l’Art (Manet, c’est l’époque où s’invente l’Art moderne) qui ne se limite pas à la peinture mais s’ouvre aussi sur le roman: comment écrit-on un roman? «l’Art doit se mesurer à tout» même si «le roman ne sait pas tout». Par ces mots, Olivier Rolin reflète bien la conscience contemporaine: la littérature (le roman en particulier) n’est plus le grand Art majeur qu’elle fut au XIXe siècle; mais si elle ne peut pas tout, elle doit néanmoins se confronter à tout.

Un Chasseur de lions, c’est surtout trois biographies principales – éclatées et incomplètes – qui s’entremêlent et sur lesquelles viennent se greffer des biographies secondaires (par exemple celle du capitaine Rossel, héros français lors de l’invasion prussienne de 1870):

- La biographie de Pertuiset bien sûr, mélange de Tartarin, de Sancho devenu Don Quichotte mais avec la verve et l’outrance d’un Alexandre Dumas, qui se veut le fil conducteur du récit et sur les traces duquel se lance l’auteur, de Paris au Chili en passant par Lima, comme dans une véritable enquête. Car Pertuiset, comme Edmond Dantès, est en quête d’un trésor inestimable: l’or des Incas. Mais, à l’inverse de Tintin – bien évidemment cité dans le texte –, il ne le trouvera pas.

- La biographie de Manet, prétexte surtout à un commentaire sur quelques œuvres du grand peintre à l’origine de la modernité artistique.

- Des éléments autobiographiques donnés dans une sorte d’errance qui n’est pas sans rappeler celle du narrateur de Zone d’Apollinaire (une similitude implicite mais sans doute voulue par l’écrivain). Olivier Rolin est donc bien présent dans son texte (c’est la mode), des bribes de sa vie s’y glissent en filigrane, des souvenirs d’enfance émergent et sa propre enquête sur Pertuiset est mise en scène. Scrupules, souci d’authenticité ou reste d’influences du nouveau roman, l’auteur écrit une aventure et montre en même temps comment on écrit une aventure, se revendiquant ainsi d’une littérature à la fois transitive et intransitive (pour citer Roland Barthes).

Enfin, la dimension historique qui regroupe pèle mêle plusieurs strates et épisodes: relevons entre autres la Commune, l’invasion prussienne de 1870, la guerre d’indépendance du Chili, la guerre partisane entre les Pardistes et les Echeniquistes au Pérou.

A tout cela s’ajoutent de multiples anecdotes sur la vie artistique parisienne digne du Journal des Goncourt. Au détour des pages et au fil du hasard, on croise dans les rues de Paris les peintres Whistler, Gauguin ou Courbet, les écrivains Hugo, Zola, Villiers de l’Isle Adam, et pratiquement tous les autres. Et dès qu’on appareille pour l’Amérique latine, ce sont mutineries sanguinaires, coups d’Etat, conquêtes qui se succèdent… Un Chasseur de lions, c’est tout cela et c’est encore autre chose. On ne s’y ennuie jamais, on n’en a guère le temps.

Tout commence par une description d’un tableau de Manet intitulé Un Chasseur de lions pour lequel l’ami Pertuiset avait servi de modèle, et par cette interrogation de l’auteur: «Pourquoi Manet, "Ce riant blond Manet / De qui la grâce émanait", a-t-il peint ce gros lard?». La suite est une tentative de réponse qui mènera Olivier Rolin et son lecteur jusqu’en Patagonie et dans le Paris du XIXe siècle. Un voyage dans le temps et l’espace à ne pas manquer. Alors n’hésitez pas, il est temps! levez l’ancre sur les traces de Pertuiset!

Olivier Rolin, Un Chasseur de lions, Editions du Seuil, 2008

 

 

 

 

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