Anne Botani-Zuber, Aline ou les cahiers de ma mère (05/11/2010)

Par Alain Bagnoud

 

couv-annebotttani.jpgLe roman commence à Vissoie, dans le Val d'Anniviers, en 1946. Aline, jeune femme née dans une de famille paysanne, étouffée par la morale et les règles de comportement de sa vallée, cherche sa voie. Epouser le premier garçon qui veut bien d'elle, faire des enfants et reproduire l'existence de sa mère ne lui convient pas.

Elle demande à ses parents la permission de travailler comme sommelière, se place chez des avocats de Sierre, puis dans une épicerie villageoise. Un garçon l'embrasse, elle ne le supporte pas, fait une crise de folie mystique, on appelle un capucin pour chasser le démon.... Et la voici de nouveau en ville.

Ses changements d'humeur (on prononcera plus tard le mot de maniaco-dépression), ses envies de liberté lui rendent la vie difficile. D'autant plus que, finalement mariée (un mariage non consommé parce qu'elle ne sait rien de la sexualité), elle fait ce qu'il y a de pire à l'époque: elle divorce.

Ensuite commence son émancipation. Celle-ci passe par l'éloignement de sa région, par les livres qui la cultivent, par du militantisme pour le vote des femmes, par un destin de fille-mère, par la rédaction, enfin, de son autobiographie.

C'est elle que nous lisons dans la plus grande partie du livre. (Les dix dernières pages sont de sa fille, qui explique comment elle est en possession des cahiers.)

Une lecture étonnante. Anne Bottani-Zuber a réussi le tour de force de mimer à la perfection le langage valaisan de ces années quarante et cinquante, si bien qu'à l'exception peut-être de la fin, on n'entend pas la voix de l'auteure. C'est virtuose, bluffant.

L'imitation de ce langage particulier est en effet tellement scrupuleuse que sans le mot roman qui orne la couverture, sans les noms différents ou les remerciements, on serait persuadé de se trouver dans un récit de vie. Il semble tout à fait évident que celle qui a écrit les cahiers est réellement une paysanne valaisanne qui a eu un accès progressif à la culture.

Je l'avoue, cette caractéristique m'a fait réfléchir. Le récit de vie se présente comme une expérience personnelle alors que le roman affiche des visées générales. Il y a sans doute entre les deux genres une position narrative un peu différente. Les romanciers procèdent souvent plus par une recréation de langage que par une imitation fidèle. On en a des exemples. Ramuz l'a fait pour la Suisse romande, Céline pour l'argot de Paris, ou, plus proche de nous, Noëlle Revaz pour le milieu paysan dans son Rapport aux Bêtes.

Ceci, d'ailleurs, n'enlève évidemment rien aux qualités du livre d'Anne Bottani-Zuber, ni aux enseignements de l'histoire exemplaire qu'elle raconte.


Anne Botani-Zuber, Aline ou les cahiers de ma mère, Editions de L'Aire

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