Des nouvelles (01/10/2010)
Par Alain Bagnoud
Il y a quelque chose dans le genre de la nouvelle qui me semble, je dois l’avouer, un peu suspect. Vieillot en tout cas. Lié au XIXème siècle, où cette forme a triomphé grâce aux journaux.
Son format court permettait en effet aux écrivains de placer ainsi dans la presse, qui les payait grassement pour ça, des textes finis. C’est alors que se sont formés les deux sous-genres, fantastique et naturaliste, à quoi devait se rajouter quelques années plus tard la nouvelle policière.
Les novélistes de notre époque - pas tous, évidemment - ont en général gardé du modèle canonique cette manière de viser à l’effet: un seul événement important advient, tout est concentré sur lui, ou, pire, sur une chute finale. Le texte est tourné vers cette unique démonstration, le reste devant y concourir.
Du coup, je lis assez peu de nouvelles. Mes goûts ne m’y portent pas. Mais enfin, j’en ai reçu deux recueils, et la moindre des choses était d’y jeter un coup d’oeil.
Dans sa dédicace, Vincent Philippe annonce « des aquarelles sombres ou claires ». Le livre s’appelle Ne dure qu’un instant. Presque tous les textes y parlent du désir et de la difficulté de l’assouvir quand on vieillit.
Dans l’un, c’est l’âge qui empêche le narrateur de séduire la jeune étudiante en médecine blonde, et ce qu’il fantasme ne se produit pas. Dans un autre, une femme couple ses chiens à ses amants, jusqu’à ce que, le temps ayant passé, elle se retrouve seule avec un carlin. Là un homme mûr rencontre vingt ans plus tard la jeune étudiante dont il était fou jadis. Ici, un grand-père radote sur le moment où il a joué un client de prostituée dans un film, lorsqu’il était figurant. Ailleurs, un homme mûrissant suit un beau voyou dans une exposition de Daumier... Un répertoire ordonné de frustrations, de regrets et de nostalgie, écrits avec une plume fine.
Sylvie Blondel est plus sobre dans sa dédicace. Sur l’ensemble de la page blanche, il n’y a que son nom et l’initiale de son prénom. « S. Blondel ». Ni date, ni « cordialement », ni ces « à », ou ces « pour » que suit le nom du dédicataire, aucune de ces petites formules bien senties que les auteurs se piquent d’adresser aux critiques. On ne fait pas plus sobre. Dans la dédicace seulement: le reste est plus foisonnant.
Le Fil de soie, parle de rencontres. Une Argentine fille de général a été torturée par les militaires, s’exile, tente de se suicider des années après, retourne au pays, et revit quand sa mère lui avoue que son vrai père est en fait un autre homme. Ailleurs, un ancien petit ami est devenu un pantin militariste à cause de l’armée et finit par se jeter au bas des rochers. Une autre nouvelle est thématiquement construite autour du thème de la boucherie. Il y aussi une narratrice qui rencontre en Grèce un dernier de famille, immigré revenu au pays, puis une Allemande qui se plaint de tout et a peut-être tué son mari. La narratrice se demande si le Grec l’aime et s’interroge sur le destin. C’est de circonstance, puisqu’on est en Grèce...
Sylvie Blondel est tentée par le roman, on le sent. Elle raconte des destinées plutôt que des épisodes, et s’intéresse aux moments charnières de l’existence. Il y a des promesses dans ses textes, et la possibilité d’affermir une technique littéraire qui, à mon avis, se cherche parfois un peu.
Vincent Philippe, Ne dure qu’un instant, L’Aire
Sylvie Blondel, Le Fil de soie, L’Aire
Paru aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud
09:41 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Oui, sans doute, dans la nouvelle à chute, il y a quelque chose de très formel, de très technique, relevant du jeu d'esprit. Dans mon collège, on a organisé des concours de nouvelles à chute durant des années, je ne sais pas si cette année ça se fera encore.
Si on a envie de se concentrer sur une seule idée, comme dans un sonnet, une nouvelle peut toujours se justifier, quoi qu'il en soit.
Mais j'ai surtout lu des nouvelles fantastiques. Je pense que l'idée unique autour de laquelle doit tourner la nouvelle doit interpeller, et que ce qui interpelle est ce qui s'écarte de la philosophie dominante. Or, c'est bien le matérialisme. Il n'y a rien de bien surprenant ni de bien nouveau à remarquer qu'il n'est pas facile de vivre un amour épanouissant avec une jeune étudiante blonde quand on vieux, par exemple.
Écrit par : Rémi | 01/10/2010
Quant on EST vieux (erratum).
Écrit par : Rémi | 01/10/2010
On dirait que ce n'est pas l'enthousiasme, cher Alain ! Courage, lecteur, mon semblable, mon frère! Ça ira mieux demain! Amitiés
Écrit par : jmo | 01/10/2010