WALTER VOGT excelle dans l'art du bref (25/05/2010)
Par Antonin Moeri
Cette première fiction publiée en 1965, alors que Walter Vogt était encore radiologue (et non psychiatre comme par la suite), cette première fiction est un bijou. Un fonctionnaire nommé Félix Wieder (41 ans) se met à tousser un jour de septembre. Son entourage est incommodé par cette toux aiguë, sèche et nerveuse. On lui ordonne de consulter un médecin qui lui prescrit des gouttes. La toux persiste. Certificat d’incapacité de travail. On l’examine à fond pendant trois jours dans un hôpital. Le célèbre professeur Wüthrich (homme exceptionnellement grand et gras) se met en colère. Il ne comprend pas de quoi souffre ce mystérieux patient qu’il envoie chez le Dr Meyer-Stoss. Le Dr Meyer-Stoss s’est fait un nom grâce à la «thérapie constructive de la personnalité». Ce psychiatre avisé impose à Félix divers exercices: tousser vigoureusement au lieu de se retenir, assister au «Magnificat» de Bach, offrir des orchidées à une inconnue, s’emparer d’un cygne par une nuit glaciale et occire le volatile. Exercice au cours duquel Félix attrape un refroidissement. Il se remet à tousser. Cette fois, une cure en altitude est prescrite. Rien n’y fait, l’opération est inéluctable. Mais dans le bloc opératoire, les grands pontes de la chirurgie ne sont pas d’accord sur l’emplacement de la tache. L’un affirme qu’elle à droite, l’autre à gauche. Lorsque le scalpel entrera dans la chair de Félix, on s’apercevra que le patient est mort.
Faillite de la médecine traditionnelle. On y pense en lisant cette nouvelle grinçante. Car le patient y est traité comme un objet, un numéro. Ce qui se passe effectivement lorsque vous consultez des médecins et qu’ils sont incapables de définir le mal dont vous souffrez. Mais au-delà de ce constat, il y a la satire (le gros médecin haletant bardé de diplômes, le constructiviste Meyer-Stoss) et, surtout, la joie de raconter une histoire, lieu de tous les possibles. Le milieu médical où Vogt évolua lui a sans doute permis de ramasser quelques pépites mais ce qui frappe à la lecture de «La toux», c’est cette jubilante certitude qu’écrire invente des mondes. Celui de Walter Vogt vaut le détour.
Walter Vogt: La toux, Nouvelles, Edition Bernard Campiche, 2010
02:18 | Lien permanent | Commentaires (0)