Bernard Antenen, La Piqueuse d'ourites (14/05/2010)
Par Alain Bagnoud
La première lecture de La Piqueuse d'ourites m’a fait m’interroger sur les genres littéraires, plus particulièrement sur celui de la nouvelle. C'est ce que contient le livre. La Piqueuse d'ourites et autres fantasmes, nouvelles (page 5).
Cette annonce m'a laissé songeur: est-ce que les textes que contient le livre en sont vraiment?
Du coup, définition. Nouvelle: « Oeuvre littéraire, proche du roman, qui s'en distingue généralement par la brièveté, le petit nombre de personnages, la concentration et l'intensité de l'action, le caractère insolite des événements contés. » (CNRTL)
Les textes qui composent le recueil d'Antenen sont le plus souvent des tissages. Plusieurs niveaux peuvent être dissociés: une situation de départ vécue par l'auteur, soit exotique (séjour à l'île Rodrigues, au Sénégal) soit contextuelle (un livre d'André Gorz, la commande d'un texte thématique) provoque des souvenirs personnels, suscite des références artistiques (Saint-Jean l'Evangéliste, Memling, Gainsbourg, Appolinaire, Senghor, Valéry, Eluard, Conrad Witz, Piaf, Marie Dubas...) et fait surgir l'Histoire (le Front populaire, la Deuxième guerre mondiale, les chercheurs de trésors, les Brigades internationales, l'assassinat de Sissi...). Des notes en fin de volume explicitent ces évocations et ces citations: Bernard Antenen n'oublie pas sa formation d'historien!
Mais ces différentes states sont unies, lissées par la personnalité du narrateur-auteur et par son écriture, qui en fait quelque chose de personnel. Alors oui: même si elles sont des évocations subjectives plutôt que des fictions, tout compte fait, pourquoi ne pas les appeler nouvelles? Puisqu’il s’agit d’œuvres littéraires brèves, dont les événements sont parfois insolites.
Elles nous proposent des scènes ancrées dans le réel qui deviennent peu à peu des visions. Un homme passe des moments singuliers, fertiles, lesquels le renvoient à autre chose. Il s'interroge alors sur son passé, sur les valeurs qu'il a toujours défendues, sur l'épaisseur de la vie et sur son enrichissement par la culture.
Textes graves sous leur légèreté badine, ils sont aussi une célébration gourmande de la femme, exotique parfois, populaire partout. Les fantasmes d'Antenen, signalés dans le sous-titre de son livre, ne le poussent pas vers les héroïnes inaccessibles, sophistiquées et méprisantes, mais au contraire vers celles avec qui une communication est possible, les petites marchandes ambulantes, les cousettes, les coiffeuses.
Une seule exception: la femme pour qui a été écrit le Cantique des cantiques. Noire et belle. Noire pourtant belle. Les traductions s'affrontent et Antenen les confronte. Celle d'André Chouraki (1989): Moi noire, harmonieuse, fille de Ieroushalaim. Celle du protestant Louis Segond en 1910: Je suis noire, mais je suis belle. Celle de la catholique Bible de Jérusalem (1973): Je suis noire et pourtant belle.
A noter qu'ici, l'historien laisse la place au fils de protestant, désormais tout aussi agnostique que moi, je le précise, qui décerne « la palme... sans conteste » de la xénophobie à cette dernière traduction.
Or, toujours selon le portail lexical du CNRS, « En employant mais le locuteur refuse ce qui est dit dans la prop. précédant mais et le remplace par ce qui suit. » Alors que pourtant « constitue une objection de nature à mettre en doute la vérité de ce qui précède ».
D'où la question que je pose solennellement à mon ami Bernard, grand défenseur de la tolérance et de l'antiracisme: vaut-il mieux refuser d'être noir, comme le propose Louis Segond, ou, comme la Bible de Jérusalem, mettre en doute la vérité de ce que cette notion implique?
Mais il dira que je pose ainsi la question parce que moi, je suis fils de catholique.
Bernard Antenen, La Piqueuse d'ourites, L'Age d'Homme.
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