Fantômes, de Jérôme Meizoz et Zivo (07/05/2010)

Par Alain Bagnoud

Meizoz_Zivo.jpgFantômes est un très beau livre, beau en entier, forme et fond. L'objet est plastiquement réussi, soigné jusque dans ses détails, le papier, la couverture, l'esthétique. Et le contenu est magnifique.

Deux artistes, un peintre et un écrivain, ont collaboré pour cet ouvrage illustré. La maison d'édition annonce qu'ils ont travaillé de concert, en atelier, au fil des mois, et on veut bien le croire tant l'ensemble est cohérent. Le peintre, c'est Zivo, Zivoslav Ivanovic pour l'état civil, lauréat du prix artistique de la Fondation Sandoz en 1999. Il n'en est pas à son coup d'essai dans la collaboration avec des écrivains et des poètes (Philippe Dubath, Ulrike Blatter), ou dans les livres d'artistes (Cahier des évocations des passages âne-oiseau, aux éditions « Remarques » de Nicolas Chabloz (2008).

L'auteur, c'est Jérôme Meizoz qui construit pas à pas une œuvre conséquente dont la cohérence globale s'impose au lecteur, au fil de textes pudiques et justes.

L'aller-retour entre les deux artistes évoque cet invisible qui travaille le visible, ces figures disparues qui hantent les vivants, qui continuent à les remuer ou à les agir. Les morts, tout d'abord.

Dans la magnifique scène d'ouverture du livre, un jour de Mardi-Gras, ils se mêlent aux masques, doublant le village réel de toute sa mémoire. Une évocation qui se place sous le patronage de Maurice Chappaz et de ses textes visionnaires, comme Le Match Valais-Judée.

Les morts proches. Ceux qui nous ont « initié à la gamme des caractères [...] Oui, le Menteur, l'Hypocrite, l'Innocente avaient d'abord le visage de telle ou telle personne , avant d'atteindre l'état de propriété abstraite ». Ceux à qui on en veut parce qu'ils nous ont abandonnés, avant que le temps ne fasse son travail, qu'il ne reste plus en nous de peine, seulement le meilleur d'eux-mêmes.

Ces morts qui petit à petit sont devenus photographies, s'alignant à mesure que le temps passe dans la maison familiale, qui se transforme en temple avec son autel aux défunts.

Mais les fantômes, ce sont aussi les monstres invisibles de l'histoire: la religion, les règles sociales, la tradition, le poids des ancêtres. Ce sont les êtres qui existent, qu'on croise mais qu'on ne voit pas.

On connaît la tendresse de Meizoz pour les petites gens. Il parle dans le livre d'un accordéoniste probablement roumain, virtuose de la musique tsigane, mais que personne ne regarde, qui se sent transparent. On y trouve aussi Coco bello, Africaine vendeuse de noix de coco sur les plages, évaporée un été sans que personne puisse donner de ses nouvelles, sans que l'on se souvienne même de son visage et même de la couleur de sa peau...

Au delà de ces évocations, Fantômes, c'est aussi et surtout une interrogation sur l'art et sur la mémoire, sur la disparition et la recréation. Les auteurs dialoguent sur la ou les voix intérieure(s), sur la vision, sur ce qui peuple la création, ce qui la nourrit, ce avec quoi elle dialogue et ce qui la hante, tous ces fantômes.

Fantômes, Jérôme Meizoz et Zivo, Editions d'En Bas

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