L'orphelin, de Pierre Bergounioux (16/04/2010)
Par Alain Bagnoud
On peut définir quelques écrivains par une figure de style qui les dépeint. Sade, par exemple, c'est peut-être l'oxymore (voir ici).
Bergounioux, c'est la périphrase. Non qu'il ne connaisse pas les mots, mais dans une manière de tourner autour des choses , il cherche à leur donner une profondeur, une aura, un sens qui dépassent la simple nomination, à arracher une vérité que les termes exacts, semble-t-il dire, ne peuvent pas complètement exprimer.
L'orphelin, c'est l'histoire des rapports du narrateur avec son père. Un narrateur que l'on identifie à l'auteur, le texte s'y prête.
Il y a trois épisodes. De la naissance jusqu'à ses 17 ans, le garçon se sent rejeté, nié. Son père, orphelin de la Grande Guerre, n'a pas de modèle, veut être le seul, l'unique maître, quitte à nier ses enfants, à leur reprocher d'être ce qu'ils sont, à déplorer qu'ils ne soient pas différents, plus conformes à ses désirs.
Puis le narrateur découvre les livres, principalement Descartes et son Discours de la méthode, symbole de la raison qui éclaire le monde. Dans la littérature, il se révèle lui-même, parvient grâce à elle à écarter les faux-semblants, la rivalité et les malentendus qui troublent son rapport avec le père. C'est la deuxième période, de 17 ans aussi.
Mais ensuite, quand il croit pouvoir ne plus être qu'un avec lui, l'âge est venu. Le père a 70 ans et ne parle plus, s'est réfugié dans le passé. Toute tentative de communication échoue. Il y a une exception, pendant un quart d'heure, à la gare, quand après la mort de la tante qui l'a élevé, le père explique à son fils combien celui-ci a compté pour lui quand il était enfant.
Je simplifie, je clarifie, et c'est sans doute un travail de destruction que je fais ici, tant, comme je l'ai dit, Bergounioux vise au contraire à la densité, à la pâte, s'acharne à tourner autour de cette relation comme Giacometti modelait sans cesse sa terre. Au risque peut-être d'un peu de ressassement dans ce texte exigeant et fort.
Pierre Bergounioux, L'orphelin, L'Imaginaire Gallimard
09:41 | Lien permanent | Commentaires (0)