BANAL??? (16/03/2010)

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Par Antonin Moeri

 

 

Une prof m’a invité à passer la soirée chez elle. Appartement coquet dans la vieille ville. Masques du Burundi. Lectrice de Spinoza, cette femme ne boit que du lait et collectionne les vieilles lampes. Elle m’a demandé si je connaissais le sens du mot « banal ». Euh…, dis-je fort embarrassé, je crois que ce mot veut dire sans personnalité. Oui, dit-elle, mais au Moyen-Âge il qualifiait une personne soumise au droit d’usage fixé par le seigneur. Puis, le terme a qualifié une personne qui se met à la disposition de tout le monde. De nos jours, l’adjectif est passé au sens figuré que tu viens de mentionner. Elle évoque alors une collègue à voix douce qui parle de ses élèves sur un ton administrativo-procédurier. Elle me dit qu’elle la trouve insignifiante et qu’elle correspond à ce qu’on attend actuellement des profs : personnages interchangeables qui s’expriment par clichés et qui, pour toute défense, invoquent le devoir d’obéissance au système, des gens qui craignent les parents d’élèves et qui, au nom du Bien, sont prêts à tout : contrôle, intimidation, délation. Je sentais une sorte de dépit dans les propos de cette femme qui préfère parler aux délinquants de toutes sortes. Alors seulement, dit-elle, j’ai le sentiment d’avoir en face de moi des êtres humains. Elle raconte qu’un jour de fête (désormais obligatoire pour tout le monde), elle voit des ados se rassembler. Un jeune mec au crâne rasé, canette de bière à la main, dit à un employé qui veut lui interdire l’accès à l’établissement : « Me touche pas, merdeux, ou je te pète la gueule. » Le garçon sent l’alcool à distance. Son frère est en tôle mais lui, il vient d’en sortir, il a braqué une vieille dame en Suisse allemande. Voyant sa collègue à voix douce courir au secrétariat, la lectrice de Spinoza continue de parler calmement avec le crâne rasé. « Z’êtes la seule avec qui j’accepte de causer, z’êtes une meuf bien, vous, au moins ». Deux flics de proximité se présentent, une splendide demoiselle aux gestes souples et un jeune moustachu avenant. Ils l’emmènent au poste, le crâne rasé qui a terminé sa bière en gloussant des insanités. Ils lui feront remplir un formulaire, le laisseront dans une cellule cuver son « vin ». Après quoi, il retrouvera la rue et les lois qui régissent le macadam. La lectrice de Spinoza m’a demandé quel comportement d’adulte eût le mieux convenu à cette situation pour ne pas relever du « banal ». Je ne voyais pas ce qu’elle voulait dire. Je lui ai suggéré de travailler dans un centre pour ados récalcitrants. Elle m’a dit qu’elle n’était pas formée pour ça. J’ai dit que je la comprenais. Elle m’a offert un verre de lait froid. Je lui ai caressé une épaule. La face illuminée par le plus beau sourire, elle accepta ma caresse.

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