Maupassant et Freud (16/02/2010)

 

 

Par Antonin Moeri



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À l’heure où les oeuvres de Freud entrent dans le domaine public et où vont foisonner de nouvelles traduction de “Malaise dans la culture”, de “L’interprétation du rêve” etc., je relis “Magnétisme” de Maupassant, nouvelle parue dans un journal le 5 avril 1882. Le nom du Docteur Charcot y apparaît (Guy de Maupassant assistait régulièrement à ses présentations de malades hystériques à La Salpêtrière).
Quelques messieurs se réunissent dans un appartement parisien pour boire, manger, fumer le cigare et parler de superstitions. Un grand coureur de filles réaffirme énergiquement son incrédulité. Le vigoureux garçon semble très sûr de lui. Pour le prouver, il raconte une première histoire, celle d’un gamin qui voit en rêve son père se noyer dans l’océan, près de Terre-Neuve. Un mois plus tard, on apprend la mort du pêcheur. Conclusion: les habitants d’Étretat voient dans cet accident un effet du magnétisme. Le coureur de jupons n’y voit, lui, qu’une coïncidence.
C’est en racontant la seconde histoire que notre Don Juan de service va trébucher, si j’ose dire. Il parle d’une femme terne, insignifiante qui, un soir, apparaît devant lui alors que, “la plume en l’air”, il cherche ses mots pour écrire une lettre à un ami. Il a le sentiment de toucher cette femme à qui il trouve tout à coup mille et une qualités, de l’étreindre dans un spasme fougueux, de la posséder avec une intensité telle que l’odeur de sa peau lui reste au cerveau et le cercle de son étreinte autour des reins.
Le lendemain, un désir véhément envahira notre héros “des pieds aux cheveux”. Ses sens seront à tel point déréglés qu’il ira se jeter voracement sur la femme du rêve pour calmer sa fureur. Quand les convives lui demandent quelle conclusion il tire de cette aventure, le conteur, cette fois, hésite. Il a perdu l’assurance dont il se targuait en début de soirée. Et le lecteur actuel se dit que, à une époque où l’existence de l’inconscient n’était pas encore inscrite dans le paysage mental des gens, où les mots castration, lapsus, pulsion, refoulement, borderline, acte manqué, fantasme, libido, transfert, surmoi ne faisaient pas partie du vocabulaire courant, Maupassant fut attiré par le jeu complexe des instincts, le travail des forces obscures, les couches inférieures du moi, l’impénétrable arrière-plan de l’existence. Il a pressenti l’importance de la psyché humaine que Freud explorera systématiquement quelques décennies plus tard. Il est évident que cette intuition, on la retrouve chez d’autres écrivains du XIXe siècle, en Russie, en Norvège, aux États-Unis par exemple.

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