Pierre est mort. Jacques aussi. (13/10/2009)

 

par PASCAL REBETEZ

Une bise froide nettoie le ciel genevois. Je roule à bicyclette à travers le bois de la Bâtie, revenant de la cérémonie funéraire de Pierre Lometto, mort d’un cancer et d’un trop-plein de vie. Je l’ai connu dans une salle des maîtres il y a trente ans puis retrouvé en voisin de quartier, une jambe en moins, une fausse jambe en plus. Autrefois, il avait publié, à compte d’auteur je crois, quelques petits livres de nouvelles dont je me rappelle l’étrangeté et la sensibilité. On pourrait dire ainsi : un écrivain est mort et personne n’en a parlé et n’en parlera jamais.

Sauf que Jacques Chessex est mort le même jour et qu’on en parle beaucoup, énormément même. Hier soir, en sixième édition, le TJ ressortait des films de classe avec témoignages d’anciens élèves, on attend les numéros spéciaux des hebdomadaires… Jamais la littérature de ce pays n’avait connu une telle couverture médiatique ! Il y a eu il y a quelques semaines le phénomène Metin Arditi, interrogé lui aussi en tant que frère d’arme de Chessex ( !?)… et je me demande en regardant le paon de la Bâtie se pavaner dans son jardin si on n’assiste pas à une sorte de gigantesque méprise, ou plutôt à un cirage généralisé de pompes funèbres… Une consoeur journaliste et écrivaine stipule sans barguigner que ne pas aimer Chessex, c’est prouver qu’on est un mauvais écrivain ! Mais puisque c’est écrit dans Le Matin, c’est que ça doit être vrai ! Et les autres, non je ne citerai pas tout le monde, d’autant que chacun aime à être le plus proche possible du défunt dont le génie définitif rejaillit forcément sur ses thuriféraires.

Chessex, je l’ai lu un peu. Comme tout le monde. J’en ai surtout entendu parler. Provocateur l’artiste ? Certes, mais surtout préoccupé principalement par l’édification de la statue de Saint Soi-Même. Et pour cette édification, Chessex était un battant, et mieux encore : un winner ! Je l’ai reçu à la télévision, je pense même qu’il s’agit de sa dernière interview télévisée. Il parle de Dieu en lequel il sera bientôt et, hors caméra, insiste à réitérées reprises pour qu’on lui rembourse sa course en taxi. C’est aussi le seul invité qui n’a eu de cesse de regarder l’image de lui-même dans la boîte à souvenir. Génial, certes, mais aussi vaniteux, un peu mesquin et finalement tellement humain dans son inlassable besoin de consolation.

Je vais tenter ce soir de retrouver le petit bouquin de Lometto.

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