Ça été ces vacances? (25/08/2009)

Par Antonin Moeri

 

 

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Je songeais aux vacances d’été, cette période de l’année pendant laquelle l’État rend leur liberté aux élèves et aux profs. Je me demandais si elles avaient été bénéfiques pour moi lorsque j’entendis un homme tonitruer dans son portable: ”Ça été ces vacances?” J’ai dressé l’oreille. L’homme disait: ”Bon, ce qu’on a commandé est arrivé, il y aura... quoi? Non, non, faudra les... ben, je sais pas, demain matin, because... Tu sais que Malik est toujours à l’assurance, fait trop chier... Ben, tu viendras plus tôt... Tu prendras la camionnette”.
Je songeais à ma femme qui travaille à l’hôpital, auprès des mourants, à cet handicapé dont la mère agonisait et qui hurlait dans le couloir en direction de son père: ”De toute façon, elle ne t’a jamais aimé, et moi non plus”. Je songeais à mon ami restaurateur, levé à cinq heures pour aller choisir au marché les plus beaux champignons, les melons les plus succulents, les fromages les mieux fermentés, les haricots les plus tendres.
Et je me disais: ”Qu’as-tu fait pendant tout ce temps? Tu as bu du vin en compagnie de musiciens, tu as pédalé jusqu’à Évian, trajet au cours duquel tu as perdu la jolie montre plate de ta femme, tu as écrit une nouvelle et répondu à ton éditeur qui te réclamait les corrections d’épreuves, tu as célébré le cinquantième anniversaire d’un ami, tu as plusieurs fois perdu au ping-pong contre ton fils, tu as emmené ta fille dans une longue promenade à travers la campagne spatieuse, tu as serré dans tes bras une photographe aux yeux vifs depuis qu’elle ne touche plus à l’alcool, tu as promené un doigt tremblant sur la pustule qui fleurissait au coin d’une joue veloutée de ta mère, tu n’as pas déclaré ton vélo sur le bateau qui te ramenait en Suisse, tu as passé une soirée en compagnie d’un chasseur au rire argentin, qui t’a expliqué que, au moment d’abattre la bête, il ne fallait ni hésiter ni éprouver le moindre sentiment, la pire chose qui puisse arriver à un chasseur étant de blesser l’animal sans le tuer.
Et je me disais: “Es-tu fier de toi? Tu aurais pu prendre le train pour aller visiter l’exposition Giacometti à Bâle, tu aurais pu prendre l’avion pour aller assister à une représentation de Godounov à Moscou, tu aurais pu marcher dans le désert marocain avec Ariane. Tu n’as rien fait de tout cela. Tu as préféré t’incruster dans le village où ton arrière-grand-père (Émile), revenu d’Amérique, se mit au service de la famille Davel, où il ne tarda pas à montrer un goût particulier pour la vigne, où il fonda un foyer et fit l’acquisition de l’immeuble numéro 118. Le faire-part de décès que tu as trouvé dans un fouillis de vieilleries dit de cet homme légendaire: Il était régulièrement un de ceux qui obtenait (sic)de ses vignes le maximum de récolte. Il laissera le souvenir d’un viticulteur qui a fait honneur à Lavaux.”

En lisant ce faire-part, mon coeur fit dans ma poitrine un bond d’allégresse.











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